L'attaque prononcée le 16 juin par la 10e Armée pour compléter le succès du 9 mai, en cherchant à rompre la ligne de défense ennemie et en forçant les Allemands à accepter la bataille en rase campagne, n'a donné que de faibles résultats, car l'ennemi, en éveil, a pu concentrer en temps utile des réserves importantes.
Jusqu'alors, l'importance des moyens dont disposait le Général en chef lui avait permis, en effet, que de mener des attaques localisées sur le front d'une seule Armée.
Mais l'augmentation importante de nos réserves, en hommes et en matériel, au cours de l'été 1915, va permettre à Joffre d'adopter le plan général suivant: pendant que les forces ennemies seront fixées par une attaque secondaire combinée avec les Anglais, rechercher la rupture des organisations adverses sur une autre partie du front.
Le 13 juin, pour préparer et faciliter la conduite ultérieure des opérations, le général Joffre a décidé de répartir les forces françaises en trois groupes d'Armées.
Une instruction du 12 juillet fixe les grandes lignes de ces opérations.
Le Groupe d'Armées du Nord (général Foch) attaquera dans la région d'Arras en liaison avec Anglais et Belges, mais cette attaque gardera un caractère secondaire, le Groupe d'Armées du Centre devant conduire l'attaque principale en Champagne.
La 10e Armée, chargée de l'offensive en Artois, recherchera la rupture du front ennemi ou tout au moins la conquête de la fameuse crête 119 -140.
Elle disposera, pour cette opération, de douze divisions actives, deux divisions de cavalerie, trois cents pièces d'artillerie lourde, forces moindres que celles engagées en mai et juin dans cette même région.
Pour donner, néanmoins, à cette action des chances de succès, on cherche à la renforcer, à l'élargir, à la « rajeunir », selon l'expression de Foch, par trois moyens différents : une coopération des Anglais plus effective et plus directe, une extension du front d'attaque au sud d'Arras, enfin des approvisionnements considérables en munitions d'artillerie lourde
Le 16 août, le maréchal French donne des ordres fermes en vue d'une offensive britannique sur le front Loos-Hulluch.
D'autre part, le général Foch envisage l'attaque sur Beaurains-Ficheux pour étendre le front d'action de la 10e Armée.
Le 22 août, le Commandement décide cette extension et renforce l'Armée, à cet effet, de quatre divisions et de quarante quatre pièces lourdes.
Enfin, la dotation en munitions est assurée très supérieure aux quantités allouées précédemment le 12 août, le Général en chef fixe à 216000 obus de gros calibre l'allocation de la 10e Armée; ce chiffre est augmenté de 33500 coups le 22 août.
Le 23 septembre enfin, le général Foch met à la disposition de l'Armée les 18 500 obus de gros calibre formant sa réserve particulière.
D'autre part, la 10e Armée ne disposant en arrière de son front que de réserves insuffisantes, le général Joffre met aux ordres du général Foch deux nouvelles divisions (58e et 154e)
Au total, le jour de l'attaque, 25 septembre, la 10e Armée comprend 18 divisions, appuyées par 380 pièces de gros calibre, disposant de 268000 obus.
La préparation d'artillerie commence le 19 septembre; elle ira en augmentant d'intensité jusqu'au jour de l'attaque.
Malheureusement le temps incertain à partir du 20, pluvieux et brumeux dès le 23, devient peu favorable à l'observation; le 24, le Commandement envisage l'éventualité de remettre l'attaque, en raison de l'état du terrain; la date reste cependant fixée au 25 septembre.
Le 25 septembre (le même jour que l’offensive principale en Champagne) à 12h25, l'attaque d'infanterie se déclenche ; à 13 heures commence une pluie qui dure presque toute la journée, rendant très pénible la progression en terrain libre et particulièrement difficiles les mouvements dans les boyaux remplis de boue.
En fin de journée, les résultats, très inégaux, se résument ainsi :
Nuls à droite (9e et 17e Corps d'Armée) ; peu marqués au centre (12e et 3e Corps d'Armée, droite du 33e Corps) où la première ligne allemande n'est enlevée que partiellement; à gauche, par contre, très satisfaisants : la gauche du 33e Corps d'Armée a pris le château de Carleul et le cimetière de Souchez, le 21e Corps d'Armée atteint la route Souchez-Angres.
D'autre part, les troupes anglaises ont emporté d'un seul élan les lignes allemandes, s'emparant de Loos et atteignant, à l'est, les abords immédiats d'Hulluch et la cote 70.
Le 26 septembre
Il importait d'assurer les opérations du lendemain en s'efforçant d'exploiter les premiers succès obtenus. Tel est le but des attaques qui se poursuivent le 26 septembre.
Au cours de cette journée, les progrès continuent à la gauche de la 10e Armée.
Souchez, qui défiait tous nos efforts depuis si longtemps, tombe en notre pouvoir.
Ce village, enfoncé dans une cuvette humide et verte, et son bastion avancé, le château de Carleul, étaient organisés de façon formidable.
Par des travaux de dérivation du ruisseau de Carency, les Allemands avaient transformé tout ce bas-fond en un marais qui paraissait infranchissable.
D'autre part, les batteries allemandes installées à Angres prenaient, au nord, le vallon en enfilade. Derrière les crêtes 119 -110, une puissante artillerie contre-battait la nôtre.
Le parc et le château de Carleul à côté de Souchez formaient un obstacle redoutable : il y avait là une ligne d'abris, puis une grande douve de cinq mètres de large ; en arrière, un amas de ruines hérissé de mitrailleuses; Au delà du château, un bois offrant un fouillis de troncs, d'arbustes, d'abattis, sur un sol marécageux, tourmenté, confus, semé de fondrières.
Pour faire tomber cet obstacle, nos sapeurs jetèrent sur les douves des passerelles pliantes, auxquelles on ajouta des troncs d'arbres pour faciliter le passage des fantassins. Par endroits, les troupes d'attaque enfonçaient dans l'eau jusqu'au genou.
Le soir du deuxième jour, toutes ces organisations tombaient en notre pouvoir.
Le 27 septembre
Les Allemands, menacés d'être coupés dans Souchez, abandonnent la place, non sans laisser entre nos mains 1378 prisonniers.
Cependant, le 21e Corps d'Armée a pris pied dans le bois en Flache et dans celui de Givenchy.
Le 12e Corps, de son côté, croit avoir atteint la cote 132, erreur dont les conséquences se font malheureusement sentir toute la journée du 27; elle occasionne des faux mouvements qui contrarient l'entrée en action du 3e Corps d'Armée. Aussi, à 16 heures, le Commandant de l'Armée donne-t-il l'ordre aux 12e et 3e Corps d'arrêter l'offensive.
Sur le reste du front, les résultats ont d'ailleurs été insignifiants le 27 septembre.
Mais la journée du 28 est marquée par un résultat sérieux.
La droite du 33e Corps d'Armée et la gauche du 3e Corps qui, jusque-là, n'ont obtenu que des succès insignifiants et éphémères, recueillent le fruit de leur opiniâtreté.
Les 59e et 77e divisions d'infanterie, pendant la nuit des 27 et 28 et la journée du 29, ont franchi le ravin de Souchez, en ont remonté la pente est et sont parvenus jusqu'à la crête bordant les tranchées de Lubeck et de Brême. La 6e division d'infanterie, de son côté, a progressé à leur hauteur, poussant des éléments jusqu'à la cote 140.
Cependant, les Anglais ont repris l'offensive à l'est de Loos et réalisé des progrès sensibles; mais leurs divisions ont perdu les deux tiers des effectifs.
Le 29 septembre
Dans ces conditions, le général Foch se rencontre le 29 à Lillers avec le maréchal French, et concerte avec lui une prochaine attaque d'ensemble, réglée par les directives suivantes, approuvées par le Commandant en chef et données le 30
--à la 10e Armée : pour les 17e, 12e et 3e Corps, s'organiser, retirer et reposer une partie de leurs forces ;
--pour les 33e et 21e Corps, achever par une attaque d'ensemble, la conquête des crêtes 119 -140 (La Folie), afin de pouvoir y amener une artillerie découvrant et battant la plaine ;
--pour le 9e Corps d'Armée, s'établir solidement sur le terrain occupé et en faire une base de départ, afin d'élargir nos gains sur la cote 70 aussitôt que la 1" Armée anglaise attaquera
Début octobre 1915
Mais les circonstances ne permettent pas de réaliser ce plan.
D'une part, les contre-attaques ennemies, particulièrement violentes du 3 au 8 octobre sur la 1e Armée anglaise, obligent celle-ci à utiliser toutes ses forces pour conserver le terrain gagné ; l'attaque projetée pour le 4 va donc être remise de jour en jour, et enfin abandonnée.
D'autre part, l'attaque de la 1e Armée, fixée d'abord au 5, remise au 6, en raison de l'état du terrain, se trouve finalement reportée au 11 octobre.
Mais l'attaque du 11 octobre, menée par les 21e et 33e Corps d'Armée, aboutit à un échec, par suite d'une préparation d'artillerie insuffisante et d'un aménagement incomplet du terrain ; dans la soirée, le commandant de la 10e Armée prescrit d'arrêter momentanément l'offensive et de se consolider sur la position.
L'intention du général commandant le G.A.N. était alors tout en profitant des progrès réalisés depuis le 25 septembre, de poursuivre l'achèvement de la conquête des crêtes 119 -140, par des actions à base d'artillerie
Mais, le 14 octobre, le Commandant en chef, considérant la fatigue des troupes et la nécessité d'économiser les munitions, prescrit à la 1e Armée de s'organiser sur la position qu'elle occupe, en limitant son offensive aux rectifications de front nécessaires, tant pour rendre cette occupation durable qu'en vue de l'attaque éventuelle que le 9e Corps d'Armée devra exécuter en liaison avec la 1e Armée anglaise.
En définitive, pendant ces dix-huit jours de combat, sur un front que les attaques précédentes avaient amené l'ennemi à renforcer puissamment, la 10e Armée a enlevé la première ligne allemande sur une largeur de 9 kilomètres environ, le terrain gagné atteignant parfois en profondeur 2 kilomètres ; mais la valeur de ce terrain importe plus que son étendue ; La vallée de la Souchez dépassée (50e régiment d’infanterie), les abords immédiats des crêtes 119 -140 en notre possession, ce sont là des résultats précieux qui permettent d'entrevoir comme fructueuse la poursuite de ces opérations.
Au moment de son arrêt, la 10e Armée se rend maîtresse d'une partie de la crête de Vimy (7e, 9e, 11e régiments d’infanterie) prise déjà par elle à revers des positions de Loos (68e régiments d’infanterie).
Nous nous trouvons donc ainsi en excellente posture pour reprendre l'offensive.
Mais, à la différence du 9 mai, les résultats acquis ne l'ont pas été d'un seul élan. Faibles le 25 septembre, les gains n'ont accusé une réelle importance que le 28, par notre progression vers le bois de Givenchy et sur les crêtes 119 -140.
C'est qu'au premier jour l'ennemi a pu, grâce à la perfection de ses organisations et à la solidité de ses abris, garnir suffisamment ses ouvrages pour décimer celles de nos troupes qui franchissaient les lignes; mais, à partir du 28, il a fini par céder, usé et démoralisé par la continuité de nos actions.
Si notre succès a été limité, une des causes en fut la préparation d'artillerie que le mauvais temps gêna beaucoup.
Néanmoins, par son importance et sa vigueur, cette offensive d'Artois, bien que secondaire, a rempli son but en faisant une diversion puissante au profit des Armées alliées et de l'attaque principale qui se développait en Champagne.
De leur côté, les Anglais, après avoir subi les 8 et 9 octobre de très violentes attaques sur le front de leur 1e Armée, prennent l'offensive le 13 octobre. Ils atteignent un moment la croupe d'Hulluch, mais ne peuvent conserver le terrain conquis.
Le 14 au soir, le Commandement britannique arrête définitivement les opérations. |