Il n'entrait ni dans le plan stratégique, ni dans les intérêts tactiques de l'armée allemande, de porter la guerre sur la frontière alsacienne.
Il apparut utile au Commandement français d'accrocher sur ce front la gauche ennemie, et de prendre dans la plaine d'Alsace, dés le début des opérations, une position qui nous assurât le débouché des Vosges sur un large front.
Notre plan de campagne prévoyait donc une offensive qui flanquerait, à droite, le mouvement général de nos armées, avec des forces dont la mission serait de pénétrer brusquement en Alsace par le sud, de se porter en hâte sur Colmar et Schlestadt, de détruire les ponts du Rhin, et de masquer Neuf-Brisach.
Ultérieurement et successivement, les unités appartenant au 1e groupe de divisions d'infanterie de réserve et les divisions de réserve des Alpes devaient garder la Haute-Alsace et investir Strasbourg.
Depuis le 2 août, l'état-major allemand avait concentré, de la Suisse à la Fecht, son XIVe Corps d'Armée, et de la Fecht au Donon son XVe
Le commandant de ces troupes, le général von Deimling, fameux « mangeur d'Alsaciens »,opérait sur un terrain qui lui était familier.
Nos premières patrouilles, notamment celle du 11e Dragons, avaient convaincu notre État-Major que les effectifs allemands étaient de peu d'importance entre la frontière et Mulhouse.
Le gros des forces ennemies campait sur la rive droite du Rhin. Il fut décidé que nous prendrions immédiatement l'offensive pour rejeter en arrière ces effectifs et nous rendre maître des ponts sur le Rhin.
Un détachement d'armée fut organisé et placé sous les ordres du général Bonneau. Ce détachement comprenait le 7e CA., la 8e division de cavalerie, une brigade d'infanterie et une batterie attelée de 155 court, empruntées à la garnison de Belfort.
Cette brigade fut formée en hâte par les 371e et 372e régiments d'infanterie, qui furent respectivement complétés par un bataillon actif du 171e et du 172e régiments d'infanterie. La batterie fut prélevée sur le 9e régiment d'artillerie à pied.
Le colonel Quais, commandant de cette brigade, rejoignit le 6 août la 14e division du général Curé, qui faisait partie du détachement d'armée du général Bonneau, détachement dont l'effectif total était de 19000 hommes.
L'ordre d'offensive parvint le 6 août.
Il fut exécuté le 7, au matin. Le général Bonneau devait d'abord s'emparer du front Thann-Mulhouse, ensuite atteindre le Rhin par sa droite, en couper les ponts, puis se porter sur Colmar.
L'armée d'attaque fut divisée en trois colonnes :
- à droite, la 27e brigade d'infanterie (44e et 60e régiments d'infanterie) appuyée par les 2e et 3e groupes du 47e régiment d'artillerie et la 8e brigade de dragons, devait se porter par la trouée de Belfort sur Dannemarie et Altkirch.
- au centre, la 14e division (brigade Quais, et 28e brigade (42e et 35e régiments d'infanterie) qu'appuyait le 1e groupe du 47e régiment d'artillerie, devait marcher sur Cernay.
- à gauche, la 41e division du général Superbie, éclairée par le 15e bataillon de chasseurs, composée de beaux régiments d'infanterie comme les 23e,152e, 373e, appuyée par les batteries du régiment d'artillerie de montagne, devait se porter sur Thann par le col d'Oderen et la vallée de la Thur
Le front d'attaque d'Altkirch à Thann couvrait une étendue de 24 kilomètres.
Le général Bonneau, dans le mouvement de conversion qu'il devait décrire autour de Thann pour se redresser le long du Rhin, allait se heurter à des forces égales en nombre, mais retranchées, dont les contre-attaques risquaient de menacer son flanc droit.
Les colonnes de gauche et du centre progressèrent assez facilement. A gauche, la 41e division descendit sans désemparer la vallée de la Thur dans les journées des 6 et 7 août.
Le 15e bataillon de chasseurs, sous les ordres du commandant Duchet, bousculait les patrouilles ennemies et traversait ,rapidement Urbès, Wesserling, Saint Amarin, véritables étapes de la « Terre Promise », pour s'installer dans le village de Moosch.
Le 7 août, Willer et Bitschwiller étaient dépassés par les fantassins du 133e et du 23e et dès quatre heures de l'après-midi nous pénétrions dans Thann, d'où le général von Deimling se retirait précipitamment.
La population enthousiaste fit fête aux chasseurs du 15e bataillon et aux fantassins de la 41e division.
Les pointes d'avant‑garde des chasseurs furent alors lancées vers Cernay, et dès le lendemain le 15e bataillon s'établissait à Reiningen, à 4 kilomètres de Mulhouse.
Au centre, la 14e division franchissait le 6 août la frontière; les fantassins du 35e et du 42e , appuyés par le feu des batteries du 47e régiment d'artillerie, progressaient malgré les mitrailleuses, bousculaient l'ennemi au pont d'Aspach dans la journée du 7,et le 35e régiment d'infanterie enlevait brillamment Burnhaupt‑le‑Bas. La division occupaitalors le front Aspach-Pont-d'Aspach-Burnhaupt-Ammertzwiller.
A droite, la 8e division de cavalerie, qui devait couvrir le flanc vulnérable de notre attaque, avait lié son mouvement à celui de la 14e division. La frontière étant franchie le 7 août à six heures, le 11e Dragons, à l'avant‑garde, se portait vers Altkirch. Une brigade allemande, pourvue d'artillerie, défendait la place. Les nôtres pénétrèrent dans Altkirch malgré la vive fusillade .qui partait des maisons. Mais ils ne purent dépasser la gare; nos escadrons durent se replier sous le couvert des bois. L'artillerie allemande leur causa quelques pertes. Le colonel du 11e Dragons fut grièvement blessé, le capitaine Dérémetz fut tué. A la faveur de l'obscurité, l'ennemi évacua la place.
La prise d'Alkirch nous coûtait une centaine de tués et blessés. Mais notre 14e division y entrait le soir même, triomphalement.
Au matin du 8 août, la 14e division reçut l'ordre de poursuivre sa marche sur Mulhouse, la 41e division devant s'avancer à gauche, jusqu'à Lutterbach. Les 41e et 60e régiments d'infanterie restaient à Altkirch
Vers midi, la 14e division se forma en deux colonnes, convergeant sur Mulhouse. Les patrouilles ennemies fuyaient devant nous; des équipements abandonnés jonchaient les routes. Les derniers soldats allemands quittaient Mulhouse quand nous arrivions aux portes de la ville.
Le 18e Dragons ne trouvait pas un uniforme ennemi dans la place. Le général Curé envoya une forte avant-garde prendre position au-delà de la ville, entre Modenheim et Rixheim; puis il fit son entrée dans Mulhouse, musique en tête, drapeaux dé ployés.
La population couvrit de fleurs nos soldats. Pendant ce temps, le général Bonneau s'installait à Niedermorschwillcr.
La prise de Mulhouse, vaste centre industriel d'Alsace qui compte 100 000 habitants, eut une répercussion énorme dans toute la France. Notre victoire ne paraissait plus douteuse. Le généralissime adressait la proclamation ci-dessus à nos frères retrouvés.
Ce document passait de main en main avec ferveur. L'enthousiasme atteignait son paroxysme.
M. Messimy, Ministre de la Guerre, télégraphiait au général en chef :
Mon général, l'entrée des troupes françaises à Mulhouse, aux acclamations des Alsaciens, a fait tressaillir d'enthousiasme toute la France. La suite de la campagne nous apportera, j'en ai la ferme conviction, des succès dont la portée militaire dépassera celle de la journée d'aujourd'hui. Mais, au début de la guerre, l'énergique et brillante offensive que vous avez prise en Alsace nous apporte un précieux réconfort. le suis profondément heureux, au note du Gouvernement, de vous exprimer toute ma gratitude.
Hélas !! cette confiance était prématurée.
Les Allemands en fuite avaient bien incendié les magasins militaires de vivres, de matériel et de fourrages ; mais ils laissaient derrière eux une horde d'espions. Leurs officiers, avant de partir,avaent promis de se venger dès le lendemain des Français.
Le général Curé apprenait, en effet, dans la soirée du 8 août, que de gros détachements ennemis apparaissaient en direction de Mülheim et de Neufbrisach. La forêt de la Hardt, impénétrable et méthodiquement organisée, fourmillait de casques à pointe.
Il était impossible à une brigade d'infanterie de défendre victorieusement Mulhouse contre des forces importantes venant du nord et de l'Est.
Le général Curé se rendit compte de cette situation, et pour éviter une catastrophe évacuer Mulhouse à 5 heures du matin, puis s'installa sur les hauteurs, au sud de la ville. Les Allemands, assurés de trouver nos soldats en pleine orgie, comptaient les bousculer sans coup férir, et pénétrer à leur suite par la trouée de Belfort. La rapidité de notre offensive les avait surpris. La faiblesse de nos effectifs les rassura.
Au matin du 9, notre 28e brigade (35e et 42e régiments d'infanterie) était rassemblée, avec le 1e groupe du 47e régiment d'artillerie, face au nord, sur le plateau de Riedisheim, et la 114e brigade (moins les deux bataillons actifs des 117e et 172e régiments d'infanterie, en réserve à Galfingen) se retranchait au nord de Dornach.
La 8e division de cavalerie était chargée de patrouiller dans la Hardt.
Durant toute la matinée, du côté ennemi, un train blindé de huit wagons fit la navette entre Müllheim et l'île Napoléon, où il amenait, à chaque voyage, des unités d'infanterie. Nos artilleurs ne parvinrent pas à l'atteindre. Le XIVe Corps allemand achevait, pendant ce temps, sa concentration à Neuenberg, sur la rive droite du Rhin.
Au cours de l'après midi, une importante colonne fut signalée au nord de Mulhouse.
Vers 5 heures du soir, l'action générale s'engagea. A la nuit tombante, la bataille faisait rage. Le XIVe Corps et une division du XVe Corps allemands prononcèrent une double attaque, leurs troupes surgissant de la forêt de la Hardt, et descendant par Neufbrisach, Colmar et Soultz sur Cernay.
Notre retraite était bientôt menacée en direction de Cernaypar des forces supérieures. Notre centre à son tour allait courir les plus gros dangers. Vainement les 3e et 42e régiments d'infanterie firent des prodiges, refoulant à plusieurs reprises les Allemands sur Rixheim et l'île Napoléon. Mais la 41e division subissait un bombardement par obusiers à Lutterbach et devait battre en retraite.
Le 15e bataillon de chasseurs évacuait bientôt Cernay. Toutes ces unités refluaient par la route de Bussang, vers 8 heures du soir.
Notre 14e division restait en flèche, sans aucune réserve pour la soutenir. Le général Curé prescrivit alors la retraite, qui s'effectua dans un ordre parfait, en direction de NiedermorschWviller.
Au matin du 10 août, notre gauche était à Thann, notre centre et notre droite sur la ligne Reiningen
Nos forces, d'ailleurs épuisées, qui se trouvaient à Reiningen, pouvaient, d'un moment à l'autre, se trouver compromises. Le moral des troupes ayant subi une rude atteinte, le Commandement décida l'accentuation de notre repli sur les hautes Vosges.
Vieux-Thain, puis Thann furent évacués. La retraite était reprise en direction de l'Ouest. Les Allemands, eux, marchaient en direction du Sud. Ils se heurtèrent, le 10 août, à la 57e division de réserve, qui appartenait à la garnison de Belfort.
Que s'était-il donc passé en arrière de notre front d'attaque?
La 113e brigade (235e 242e 260e régiments d'infanterie) avait été dirigée dès le 9 août sur la frontière, pour surveiller la direction de Dannemarie ; elle se porta le 10 sur les contreforts de la rive gauche de l'Ill et sur les hauteurs du Spechbach, où elle fut rejointe par la brigade Quais, qui retraitait avec la 14e division.
Grâce aux hésitations de la poursuite ennemie, les éléments de la 57edivision se trouvaient rassemblés le 11août sous les ordres du général Frédéric Bernard, et purent couvrir la droite du 7e Corps d'Armée, puis engager le combat et bri
ser l'effort ennemi. Ainsi, le 11août, le détachement d'armée Bonneau réussissait à se fixer derrière le ruisseau de Saint-Nicolas.
Les 44e et 60e régiments d'infanterie rejoignaient les autres éléments de la 14e division et bivouaquaient là jusqu'au 17 août.
Le 47e d'artillerie s'établissait le 12 et le 13 août en cantonnement bivouac à La Collonge, laissant ses 5e et 6e batteries soutenir nos avant postes vers Vauthiermont et Reppe.
Le 7e Corps d'Armée se trouvait dégagé par l'intervention de la 57e division en avant du col de Valdieu; cette division s'établissait le 12 août entre Montreux-Jeune et Chavannes-sur-l'Étang, afin de couvrir les routes qui permettaient de tourner Belfort par le Sud.
Le 13 août, après maints tâtonnements, l'ennemi se décidait à l'offensive.
L'attaque, menée par des troupes badoises et wurtembergeoises, se déclencha sur le front Montreux-Jeune et Chavannes-l'Étang. La 115e brigade, qui formait l'aile droite de la 57e division, défendit vaillamment le moulin de la Caille et le village de Montreux-jeune.
Par crainte d'enveloppement, elle se replia dans Montreux-Vieux, derrière le canal du Rhône au Rhin. L'ennemi bombarda Montreux-Vieux, mais ses attaques se brisèrent sur le canal. Il dut renoncer à sa marche sur Montbéliard. Cette affaire nous coûta 800 tués ou blessés. L'ennemi perdit presque 2 000 hommes. Il se vengea de son échec en incendiant Romagny
La 57e division organisa immédiatement ses positions pour couvrir la route du Sud-Est et nous assurer les voies de communication débouchant du col de Valdieu.
Le combat de Montreux marque la fin de notre première pointe offensive sur Mulhouse ; opération téméraire sans doute, mais qui n'aboutit pas à une catastrophe, et qui laissa intacte notre frontière.
L'Allemagne cria au triomphe, insolemment.
La France fut péniblement affectée, et le Journal Officiel enregistra la mise à la retraite, pour raison de santé, du général Bonneau. |
L'armée française ne pouvait rester sur cet échec. Trop d'espoirs étaient nés soudain au delà des Vosges. Nous leurs devions une réparation morale. Et d'autre part une nouvelle poussée, bien conduite, ne pouvait manquer d'assurer des positions meilleures à l'aile droite de nos armées.
Afin de pouvoir agir avec plus de sécurité, nos troupes opérant en Lorraine avaient besoin d'être sérieusement couvertes en direction du Sud par l'occupation des points de passage du Rhin, de Huningue à Neufbrisach. Cette mission de flanc garde, non réalisée par le détachement d'armée Bonneau, ne pouvait être abandonnée sans danger. L'occupation du Sundgau nous était nécessaire, car des colonnes ennemies débouchant par là mettraient en péril notre 10e Armée.
Dés le 10 août, le général Joffre ordonnait la constitution d'une armée plus importante, qui rétablirait la situation en Haute-Alsace, et qui serait confiée au général Pau, le plus populaire de nos généraux.
Le rassemblement des forces commença le 11 août.
Le général Pau prit pour chef d'état-major le lieutenant-colonel Buat, officier supérieur unanimement apprécié. L'effectif devait être porté à 115000 combattants.
Le 7e Corps d'Armée fut reconstitué et repris en main par un nouveau commandant, le général Vauthier.
Il lui fut adjoint la 8e division de cavalerie et la 57e division d'infanterie de réserve, cette dernière étant toutefois allégée des 235e et 260e régiments d'infanterie, qui avaient combattu à Montreur et devaient, pour se refaire, cantonner à Belfort.
Des éléments des 171e et 172e régiments d'infanterie furent accolés au 242e dans la 113e brigade, et complétèrent les effectifs de la 57e division, qui comptait à la 114e brigade : Les 371e, 372e et 244e régiments d'infanterie, trois groupes d'artillerie montée de 75, une compagnie du génie et deux escadrons de réserve de dragons.
Le 1e groupe de division d'infanterie de réserve, commandé par le général Archinard, des troupes coloniales, entrait dans l'armée d'Alsace, à laquelle il apportait un renfort de trois divisions, constituées chacune par deux brigades de trois régiments à deux bataillons. C'est ainsi que la 66e division du général Woirhange était composée de la 131e brigade du général Sauzéde (280e, 281e et 296e régiments d'infanterie) et de la 132e brigade du général Sarrade (215e 253e et 343e régiments d'infanterie).
La 63e division de réserve était constituée de façon identique, ainsi que la 58e; cette dernière, commandée parle général Lombard, laissait toutefois une de ses brigades à la disposition de la 1e Armée.
La 44e division d'infanterie alpine, commandée parle général Soyer, apportait son appoint à l'armée nouvelle :Les 97e, 157e,159e et 163e régiments d'infanterie, tous à trois bataillons.
Quant à la brigade active de Belfort, elle était formée des six bataillons des 171e 172e régiments d'infanterie. Deux de ces bataillons avaient déjà vu le feu avec la brigade Quais.
Deux batteries lourdes furent improvisées et mises à la disposition du général Pau, qui reçut en outre les cinq groupes alpins de la XIVe région, rattachés pour ordre au 7e Corps d'Armée.
Le général Pau avait ainsi sous ses ordres 11500 hommes pour mener à bien la tâche que le général Bonneau n'avait pu accomplir avec ses 19000 combattants. Il ne s'agissait plus d'une reconnaissance, mais d'un effort décisif en direction du Rhin : offensive méthodique de l'Ouest à l'Est, notre gauche avançant vers le Nord-Est pour couper la retraite aux Allemands dans cette direction, afin que l'adversaire n'eût d'autre issue que la frontière suisse ou le passage du fleuve.
La gauche de l'armée du général Pau (véritable aile droite de notre 1e Armée) fut, en conséquence, composée d'éléments particulièrement solides et entraînés: les cinq groupes alpins de la XIV région commandés par le général Bataille. Le général Pau les engagea même avant d'avoir achevé la formation de son armée. Ces groupes, qui débarquaient le 12 août dans la région Remiremont Gérardmer-Saint-Maurice, furent immédiatement affectés à la garde de la crête des Vosges, du ballon de Servance jusqu'au col de la Schlucht.
Ils devaient descendre par les routes du versant oriental pour tenir solidement les débouchés de ces routes sur la plaine d'Alsace. Le Louchbach marquait leur jonction avec les 70e,11e,14e,bataillons de chasseurs, qui constituaient l'extrême gauche de la 1e Armée.
Dés le 14 août, le 28e bataillon reçut l'ordre de descendre sur Massevaux et Lawv, pour éclairer la 41e division. Commandé par le lieutenant colonel Brissaud-Desmaillet, ce bataillon arriva sans encombres à Massevaux vers midi, et repartit sur Rodern. Sa marche était surveillée par quatre cavaliers ennemis du 14e dragons. Le lieutenant Ayme, reconnaissant soudain des ennemis, tua d'un coup de feu le sous-officier, chef de patrouille. Les trois autres cavaliers prirent la fuite.
Pendant ce temps, les 12e et 22e bataillons descendaient de Bussang sur Thann. Ils entrèrent dans Thann à sept heures du soir, les Bavarois ayant précipitamment évacué la ville.
Le 30e bataillon du lieutenant-colonel Goybet descendait du Hohneck et menait l'attaque en en direction de Munster. Le 13e bataillon restait en réserve de la 81e brigade, à laquelle il était provisoirement rattaché.
Le 15 août, les groupes alpins qui avaient mené ces trois offensives divergentes se reconstituèrent en deux groupements.
Au Nord, les 30e et 13e bataillons demeurèrent avec la 81e brigade, momentanément arrêtée devant Munster. Au sud, les groupes des 12e, 22e et 28e bataillons se réunirent autour de Cernay, sous les ordres du lieutenant colonel Gratier, liant leur mouvement à la gauche du 7e Corps d'Armée.
Cette couverture de gauche était assez solide pour que l'offensive en Haute Alsace fût déclenchée.
Notre droite, appuyée sur le canal du Rhône au Rhin, était forte de deux divisions ; la 66e (280e, 281e et 296e, 215e, 253e et 343e régiments d'infanterie de réserve) et la 44e (157e, 159e, 163e et 97e régiments d'infanterie alpine).
Le 7e Corps d'Armée se trouvait à cheval sur la route de Belfort à Mulhouse, assignée comme axe de mouvement
A l'extrême gauche, deux autres divisions, la 58e et la 4e, devaient marcher en liaison avec les groupements alpins, dont l'axe de mouvement serait SentheimAspach Wittelsheim.
La progression sur Mulhouse devait se faire, cette fois, en quatre bonds successifs, jalonnés au centre par Soppe, Burnhaupt et Heimsbrunn.
Le 16 août l'Armée d'Alsace passait à l'attaque. Elle atteignait facilement le front Buettwiller Guewenheim Burbach. Surpris, les Allemands se retirèrent en désordre vers le Nord et vers l'Est, abandonnant munitions, vivres et matériel. Seule, la possession de Danemarie fut chèrement disputée.
Le 17 août, l'ennemi hâta sa retraite vers la Haute Alsace. Nous enlevions Munster par une manœuvre habile au sud de la ville : l'ennemi fuyait vers Turckheim.
Le 18 août, tout le terrain était balayé au sud des Vosges, et jusqu'au Donon. L'Armée d'Alsace tenait le front Tagsdorf Oberinorschwiller Zillisheim Hochstatt Niedermorschwiller Reiningén Wittelsheim.
Au soir de ce jour, le général Pau donnait à ses troupes l'ordre d'attaquer, pour enlever Mulhouse, la ligne de l'Ill, autour de laquelle s'étaient regroupées les forces ennemies. L'aile gauche avait mission de se redresser vers le Nord, en direction de Colmar et de Neufbrisach, l'aile droite devait se porter sur Altkirch.
La bataille générale fut ainsi livrée du 19 au 22 août.
Le 19 août, après un combat acharné, le 7e Corps d'Armée enleva Mulhouse. II fallut d'abord courir à l'assaut de masses ennemies concentrées entre Lutterbach, Pfastadt et Richwiller. Notre artillerie fit merveille dans la préparation.
A Dornach se cristallisa la résistance allemande.
Dornach est la banlieue de Mulhouse: partout des villas, des jardins, des murs, des haies. L'ennemi avait tendu des fils électrifiés, chaque maisonnette était un fortin. La 14e division dut livrer un assaut en règle, dans lequel se distinguèrent les 35e, 42e, 44e et 60e régiments d'infanterie, ainsi que les sapeurs du 4e génie.
Six pièces de 77 furent prises à la baïonnette par le 42e régiment d'infanterie. Les Badois subirent des pertes cruelles. Un millier de prisonniers tomba entre nos mains. La 8e division de cavalerie pourchassa l'ennemi jusqu'à la région, d'Ensisheim, à 20 kilomètres au nord de Mulhouse. Durant la bataille se distingua le colonel Nivelle, commandant du 5e régiment d'artillerie de campagne.
Pour la seconde fois, en quinze jours, les Français entrèrent à Mulhouse à quatre heures de l'après midi.
Mais ils ne firent que traverser la ville pour aller se retrancher à Lütterbach et dans la région de Modenheim. Seuls, les 35e et 42e régiments d'infanterie, qui s'étaient distingués à Dornach, restèrent en réserve à Mulhouse, et le 3e groupe du 47e régiment d'artillerie se mit en batterie sur la cote 266 et sur les croupes sud est de la ville.
A droite du 7e Corps, l'attaque de Mulhouse fut bordée par la 66e division, dont l'objectif était Brunstatt, sur l'Ill, et à l'extrême droite par la 44e division qui se rabattait sur Altkirch. Ces deux divisions maîtrisèrent toutes les réactions ennemies et atteignirent leurs objectifs.
La 66e division dépassa, le 19 août, les avant postes que ses régiments de la 131e brigade (280e, 281e, 296e régiments d'infanterie) et de la 132e brigade (215e, 253e et 343' régiments d'infanterie) avaient installés sur le front Ammertzwiller Hagenbach. L'ennemi tenta de résister sur la ligne Brunstatt Flachslanden. Il dut battre en retraite devant l'attaque du 215e régiment d'infanterie (colonel Gadel, des troupes coloniales) et du 343e régiment d'infanterie (lieutenant colonel Prudhomme). Le 215e progressa pourtant avec beaucoup de peine : deux fossés rendaient sa marche quasi impossible : le canal du Rhône au Rhin et l'Ill.
Les sections de tête refluèrent en désordre sous le tir des mitrailleuses allemandes. Le terrain sur lequel elles s'étaient engagées était plat et dénudé. Notre artillerie balaya aussitôt de son feu les bords du canal et les emplacements des mitrailleuses. A la nuit tombante, l'ennemi s'empressa d'évacuer Brunstatt, et le 215e régiment d'infanterie put prendre possession du village.
La brigade de droite attaquait Zillisheim et Flaxhenden; les 296e et 280e régiments d'infanterie brisaient définitivement la résistance allemande.
Le 21 août, le 215e régiment d'infanterie s'installait à Heinsbrunn, et le 343e régiment d'infanterie à Galfingen ; ces villages étaient mis aussitôt en état de défense.
La mission de la 66e division était remplie.
A l'extrême droite, la 44e division, qui couvrait notre flanc, était violemment prise à partie par une division allemande, venue de la rive droite du Rhin. Après un àpre combat, l'ennemi était rejeté, et sur le carnet d'un officier allemand on lisait quelques jours plus tard les lignes suivantes :
« Notre infanterie est écrasée ; batteries et fantassins fuient en désordre, suivis du général von Bodungen qui marche à pied derrière ses troupes battues et désemparées... »
La 41e division refoulait l'adversaire sur Emlingen et sur Tagolsheim, puis se rabattait sur AAltkirch. Devant cette place, le général Plessier était mortellement frappé, à la tête de la 88e brigade. Ses troupes s'emparèrent de la ville au prix de gros sacrifices.
La 44e division fut alors relevée par la 57e, dont les régiments purent occuper en toute sécurité les hauteurs de la rive droite de l'Ill, depuis Altkirch jusqu'à Mulhouse. Nos reconnaissances atteignaient la Hardt.
Au nord de Mulhouse, l'ennemi ne fut pas plus heureux
Notre aile gauche avait pour objectif général Colmar, et pour mission (le progresser en liaison étroite avec la Ire Armée, dont elle couvrait le flanc droit.
Le groupement de chasseurs alpins remplit cette tâche difficile avec intrépidité. Grâce au dévouement des chasseurs, la, 1e armée et l'Armée d'Alsace purent accélérer leur avance ou limiter leur recul.
L'offensive fut prise le 19 août. Le groupe du nord (13e et 30e bataillons) marchait sur Colmar en descendant la Fecht. Le groupe du Sud (28e, 22e et 12e bataillons du lieutenant colonel Gratier) agissait en direction du Nord par la rive gauche de l' Ill. Ce dernier groupe trouva la route de la plaine solidement tenue par les Allemands. Il prit, plus à l'ouest, la route du col d'Osenbach. Le 28e bataillon se dirigeait ainsi d'Uffholtz sur Guebwiller.
Ce dernier village fit fête aux chasseurs. Ils continuèrent leur route, et atteignirent la région de Westhalten Orschwihr, fourmillante d'ennemis Le lieutenant colonel Brissaud-Desmaillet, commandant du 28e bataillon, envoya dans l'après-midi une reconnaissance offensive, dirigée par le lieutenant d'Armau de Pouydraguin, sur le village de Pfaffenheim.
L'officier ne découvrit rien de suspect dans le village; mais un habitant s'enfuyant vers une ferme isolée, il lui donna la chasse, et se trouva soudain devant une sentinelle allemande, avec laquelle il engagea un furieux combat corps à corps. Les chasseurs arrivèrent à temps pour dégager leur lieutenant, malgré une vive fusillade partie de la ferme.
La patrouille, fortement éprouvée, put regagner nos lignes. Nous nous trouvions au contact immédiat de l'ennemi.
Pendant ce temps, le 30e bataillon, qui se portait sur Walbach, se heurta à une brigade wurtembergeoise. Le capitaine Banelle chargea intrépidement une batterie qui dut s'enfuir, abandonnant ses projectiles. Un régiment ennemi, lancé à l'attaque, reflua en désordre sous le feu de nos mitrailleuses et de nos batteries de montagne. Le 30e bataillon subit des pertes sensibles, mais la route Turckheim nous était ouverte, et les trois bataillons du lieutenant colonel Gratier pouvaient progresser.
Le 13e bataillon était aussitôt détaché dans la région Orbey Zell, où il couvrait face au nord le flanc gauche des chasseurs.
Le 21 août, le 30e alpins enlevait Turckheim. Les bataillons glissaient vers la région de Kaisersberg et d'Ammerschwihr.
Le 22 août, ils livraient le sanglant combat d'Ingersheim.
Ce dernier village, situé à 3 kilomètres de Colmar, est protégé au sud par le cours de la Fecht. La route de Colmar à Ingersheim franchit la rivière sur un pont de pierre. Puis elle longe la rive sud de la Fecht, bordée par une sapinière. Ensuite, des vignes touffues s'étendent jusqu'à Logelbach, faubourg de Colmar.
Dès 7h heures du matin, une batterie allemande de 210 bombarda le front d'Ingersheim et les rives de la Fecht.
A 11 heures, les colonnes allemandes débouchèrent de Colmar par la route clé Kaiserberg. Elles se heurtèrent devant Turckheim aux 2e et 3e compagnies du 30e bataillon, et ne purent forcer le barrage. Mais l'attaque gagna par le nord. L'ennemi, sous le couvert des sapins, s'infiltra jusqu'à Ingersheim.
La lutte fut meurtrière. Les 12e, 5e et 28e bataillons contre-attaquèrent furieusement les troupes bavaroises.
Ingersheim fut pris et repris à trois reprises. Les 5e et 28e bataillons culbutaient enfin l'aile droite ennemie et la rejetaient sur Colmar. Ingersheim flambait. A l'aube, le 28e bataillon atteignait la barrière de l'octroi de Colmar. Nous organisions défensivement la vallée de la Fecht.
Ainsi, à l'extrême gauche, nous nous trouvions aux abords mêmes de Colmar; à l'extrême droite, au sud d'Altkirch, les cavaliers de la 14e brigade de dragons et les fantassins du 242e régiment d'infanterie étaient installés à Hirsingen et à Ilirtzbach. De lIll au Rhin, la voie semblait ouverte à l'Armée d'Alsace.
Malheureusement, le 22 août, la 2e Armée brisait ses efforts sur les défenses de Morhange; sa retraite entraînait le repli de la 1e Armée, qui abandonnait le 23 août le Donon et le col de Saales. L'Armée d'Alsace ne pouvait plus rester en flèche. La bataille des frontières était finie ; nous l'avions perdue.
Une autre bataille se préparait, pour laquelle le général en chef avait besoin de toutes ses forces. L'Armée du général Pau fut disloquée au profit de nouveaux théâtres d'opérations.
Le 22 août, la 8e division de cavalerie (qui laissait cependant sa 14e brigade de dragons à l'Alsace) et la 44e division étaient rattachées à la 1e Armée.
Le 24 août, la 63e division de réserve et le gros du 7e Corps d'Armée étaient transportés sur la Somme, puis sur Paris, à la disposition de la 6e Armée.
Une telle dislocation entraînait l'abandon du terrain conquis.
Les troupes françaises abandonnaient non seulement Mulhouse, que le général Pau évacuait le 24 août, mais Altkirch, Cernay, Logelbach, le Sundgau.
A l'Armée d'Alsace furent substitués deux groupements : celui de Belfort au sud, celui des Vosges au nord. Le premier devait garder l'accès de la trouée, le second tenait notre frontière d'Alsace, et couvrait le flanc de la 1e Armée. |