Naufrage de la Méduse

 

La frégate la Méduse est l'objet d'un contrat du 11 mars 1807 entre l'État et la société Michel Louis Crucy, établie à Paimboeuf (Loire Inférieure).
Elle est construite au début des années 1800 ; la coque est lancée le 1er juillet 1810. Le 26 septembre, le navire passe devant Saint-Brevin-les-Pins, à l'extrémité de l'estuaire de la Loire surveillé par une flottille anglaise basée à Hoëdic. La Méduse, commandée par Joseph François Raoul, réussit à quitter l'estuaire le 28 décembre, en même temps que la frégate la Nymphe, construite à Basse-Indre sur un autre chantier Crucy.
Compte tenu du destin ultérieur de la Méduse, ont été rapportées quelques légendes prémonitoires. Dans son Histoire de la Commune de Nantes, Camille Mellinet évoque la « tristesse inexplicable » marquant la cérémonie du lancement de la coque. Par ailleurs, un matelot aurait dit, en voyant la figure de proue : « une mauvaise tête qui nous portera malheur ».
La première mission des deux frégates est de transporter à Batavia le gouverneur des Indes néerlandaises ainsi que son état-major et des soldats. La mission réussit mais n'empêche pas la prise de Batavia par les Britanniques. Les deux frégates regagnent Brest en décembre 1811. Le rapport de Raoul sur la Méduse est dans l'ensemble favorable. Le commandement du navire passe ensuite à François Ponée qui en est aussi satisfait.

En novembre 1813, la Méduse et la Nymphe partent pour une campagne de course dans l'Atlantique. Elles sont de retour en janvier 1814.

Après l'abdication de Napoléon, la Méduse, commandée par le chevalier de Cheffontaines, effectue une rotation aux Antilles ; elle est de retour à l'île d'Aix le 20 février 1815, puis subit un carénage à Rochefort. Ponée en reprend le commandement pendant les Cent-Jours. Le navire est toujours à Rochefort lorsqu'après Waterloo, Napoléon y vient le 8 juillet, envisageant un départ en Amérique sur la frégate Saale, elle aussi présente à Rochefort. Finalement, le projet de fuite est abandonné et, le 15 juillet, Napoléon se rend à bord du HMS Bellerophon, déclarant « [s'y] mettre sous la protection des lois d'Angleterre »

En 1816, la France récupère ses comptoirs au Sénégal, occupés par les Britanniques au cours des guerres de l'Empire. Louis XVIII décide d'envoyer des colons prendre possession de ce territoire rétrocédé.

Le 17 juin 1816, une flottille de quatre voiliers militaires chargée d'acheminer les fonctionnaires et les militaires affectés au Sénégal, ainsi que des scientifiques et des colons (soit 392 personnes au total), quitte l’île d'Aix pour rallier Saint-Louis du Sénégal. La flottille se compose de la frégate la Méduse, navire sous le commandement du capitaine de frégate Hugues Duroy de Chaumareys, de la corvette l’Écho, du brick l’Argus et de la flûte la Loire. Parmi les passagers à bord de la Méduse se trouvent notamment le colonel Schmaltz, le nouveau gouverneur de la colonie du Sénégal, accompagné de son épouse, le commis de première classe et futur explorateur Gaspard Théodore Mollien, ainsi que l'écrivaine Charlotte-Adélaïde Dard et son père ; René Caillié, un autre explorateur, est à bord de la Loire. De grandes quantités de matériel sont aussi embarquées.

Hugues Duroy de Chaumareys, qui commande la Méduse, est un noble royaliste qui n'a quasiment plus navigué depuis l'Ancien Régime. Il commence la traversée en distançant les autres navires, plus lents que le sien, et se retrouve ainsi isolé. N'écoutant pas les avis de ses officiers qui le détestent (comme les anciens soldats napoléoniens à son bord, dont la monarchie tente de se débarrasser), il accorde toute confiance à un dénommé Richefort, un passager prétendant avoir déjà navigué dans ces parages. Il se trompe dans son estimation de la position du navire par rapport au banc d'Arguin, obstacle connu des navigateurs. Au lieu de le contourner en passant au large comme l'indiquent ses instructions, il rase les hauts-fonds, jusqu'à ce que l'inévitable se produise le 2 juillet vers 15 heures.

La frégate s'échoue sur un banc de sable à une douzaine de lieues (48 kilomètres) des côtes. Toutes les tentatives de renflouement se soldent par des échecs. L'équipage construit alors un radeau de douze mètres sur six, composé de pièces de bois récupérées dans la mâture, destiné à recevoir du matériel afin d'alléger le navire. Après quelques jours, souffle une violente tempête qui secoue la frégate échouée, provoque plusieurs voies d'eau dans la carène et brise la quille. L'état-major du navire craint que le navire ne finisse par se désagréger. L'abandon est décidé. Une liste répartissant les personnes dans les canots de sauvetage est constituée en secret.

Le désordre est indescriptible. Plusieurs marins sont ivres morts en permanence, à l'instar du commandant Hugues Duroy de Chaumareys souvent aviné. Les officiers tentent de garder le contrôle de la situation, mais le commandant et les passagers de marque n'auraient pas brillé par leur exemple ce jour-là. Le 4 juillet, les six canots et chaloupes sont mis à l'eau ; sur le radeau s'entassent 147 marins et soldats avec quelques officiers, ainsi qu'une femme cantinière. Il est prévu que le radeau soit remorqué à terre par les chaloupes et tout le monde doit atteindre le Sénégal en longeant le littoral saharien. Dix-sept hommes restent sur l'épave de la Méduse espérant, sans doute, être secourus plus tard ; trois d'entre eux seulement sont retrouvés en vie le 4 septembre suivant.

Très vite, les amarres qui relient les chaloupes à la masse considérable du radeau se rompent et celui-ci part à la dérive (largage volontaire, le radeau faisant dériver dangereusement la grosse chaloupe en surcharge, ou accident ?). Certaines chaloupes gagnent la côte, des hommes tentent leur chance dans le désert, accablés par la soif, la marche et l’hostilité des Bédouins. Ils sont récupérés après quinze jours d'errance par une caravane sous la houlette d'un officier déguisé en Maure, mais il y a eu plusieurs morts. D'autres chaloupes restent en mer et atteignent Saint-Louis en quatre jours, rejoignant l’Écho et l’Argus amarrés. Parmi les passagers de ces dernières figurent le commandant Chaumareys et le colonel Schmaltz.

Les marins et soldats du radeau de fortune, le « Machin » féminisé par euphémisme et appelé rapidement la Machine, essaient de gagner la côte mais dérivent. L'équipée, qui dure treize jours, fait de nombreux morts et donne lieu à des noyades, bagarres et mutineries, tentatives de sabordage ainsi qu'à des faits de cannibalisme en raison du manque d'eau potable et de vivres (la capture de poissons-volants étant insuffisante, certains rongent les cordes du radeau, mâchent leurs ceintures ou leurs chapeaux). Les naufragés n'ont que des barriques de vin à leur disposition. Le 17 juillet, le commandant Chaumareys envoie l'Argus non pas chercher les naufragés, dont il estime qu'il ne reste aucun rescapé, mais trois barils de 92 000 francs en pièces d'or et d'argent. Le brick, après avoir atteint Saint-Louis, retourne sur le lieu du naufrage et récupère seulement quinze rescapés du radeau, dont cinq mourront avant l'arrivée à Saint-Louis.