De l'arrestation de Paul Bertin à la Libération

 
Le 23 juin 1944, en début d'après-midi, l'Hauptscharfuhrer Holtz (passé par les SA, les SS, puis affecté à la Gestapo de Draguignan), un autre agent de la Gestapo, un interprète français nommé Ebel, et le traitre Hugo Brunning, se rendent au cabanon de la Palun ou travaille la famille Bertin.
Ils sont accueillis par Guillaume Cogo, beau frère de Paul Bertin, qui ouvre la porte du cabanon en leur disant "Vous voyez bien qu'il n'y a personne ici !".
Alors que les quatre hommes pénètrent à l'intérieur pour vérifier, il claque la porte et part en courant à travers champs.
L'un des hommes dégaine son arme et lui tire dessus sans l'atteindre.
Paul Bertin qui faisait la sieste à l'ombre est réveillé en sursaut par les détonations. Il s'approche du cabanon sans voir les quatre hommes dissimulés sous les branchages des grands arbres qui entourent la bâtisse.
Lorsqu'il prend conscience de la situation c'est trop tard. Hugo Brunning l'identifie et il est arrêté.
Paul Bertin raconte ainsi la suite de son périple dans un rapport établi en novembre 1945 à la demande de l'inspection académique.
 
Emmené le jour même à Draguignan avec Monsieur Arnaud, maire de Pourcieux, et un jeune homme qui avait abandonné le maquis, nous fumes mis en cellule.
Le 26 juin 1944 après-midi, commença mon interrogatoire.
Etaient présents : Hugo Schmith (de son vrai nom Hugo Brunning) qui retraçait au lieutenant tout ce que j'avais fait pour le maquis, tous les transports de vivres, d'armes, d'hommes, de Toulon, Hyères, La Crau, Le Luc, Pignans, Le Pradet, Ginasservis...etc, les chefs de Résistance qui faisaient la liaison des villes de Toulon, Marseille avec le maquis que je faisais coucher et manger.
Sachant la responsabilité que j'avais, l'honneur de la famille, l'honneur d'un français devant l'ennemi, malgré les paroles douces, malgré les menaces, je n'ai pas donné un seul nom.
Devant ma résolution à ne pas parler, ils furent fous furieux. Hugo Schmith se transforma en bourreau. De toutes ses forces à toute volée, j'ai reçu des revers de main, des coups de poing au visage, jusqu'à ce que je sois contusionné et couvert d'ecchymoses (pendant plus d'un mois je n'ai pu dormir sur mes oreilles).
N'ayant pas obtenu plus de résultats, l'on me fit déshabiller et je fus mis dans une baignoire qui fut remplie d'eau glacée. Il y avait 15 minutes que j'étais dans la baignoire, lorsque le lieutenant s'avance vers moi et me dit: "vous n'avez pas voulu parler sous les coups; mais là, vous parlerez bientôt. D'ailleurs personne ne résiste plus de deux heures. Vous mourrez dans le bain."
Les quarts d'heure passaient; l'on venait me demander si j'étais décidé à parler; je répondais toujours que je ne pouvais dire davantage que ce que j'avais dit. L'on me plongeait la tête entière dans l'eau, alors je me débattais; je m'étouffais; et l'on me disait : "Mais ne souffrez pas inutilement; dites nous les noms des chefs que vous logiez chez vous; donnez nous des noms, et nous vous ferons sortir de cette baignoire glacée."
Au bout de deux heures, voyant que l'on n'obtiendrait rien de moi, le lieutenant se mis à taper à la machine mon interrogatoire. L'interprète qui faisait les cent pas entre la baignoire et le lieutenant, lisant parfois par dessus l'épaule, vint à ce moment vers moi et me dit brutalement : "Comment vous avez le toupet de dire que les Allemands sont des ...". Sur ces mots le lieutenant le rappelle brutalement et ne souffle plus mot. Un moment après, l'on me sortit de la baignoire dans un triste état. Je ne pouvais plus parler. Plus tard, l'on me ramena dans ma cellule où, pendant toute la nuit, je réfléchis sur les paroles de l'interprète.
Le lendemain à midi, le bourreau en me donnant ma ration me dit d'un air sauvage : "Hier soir tu n'as pas parlé, mais cet après midi, je t'assure qu'on te fera parler, tu vas voir, on te fera parler".
A ce moment là en réfléchissant, je compris ce qu'on allait faire de moi, et je décidais de me tuer. Heureusement, l'on m'avait laissé mon couteau. Les camarades m'ayant promis de déposer aux cabinets une feuille de papier et un crayon pour pouvoir écrire une letre d'adieu à ma famille, je demandai à la sentinelle, à aller aux cabinets, où je n'ai pas trouvé le crayon ni la feuille de papier. J'ai su plus tard par Monsieur Mourou de Ginasservis, qu'ils avaient décidé de ne pas me donner satisfaction. Mais j'eus une conversation très intéressante avec la sentinelle qui paraissait sympathique plus que certaines. Il me demanda ma situation sociale; je lui répondis : "maraîcher". Il me demanda également les hectares travaillés, les récoltes produites etc..., puis il me dit : "C'est dommage, vous allez être fusillé ce soir". "Mais comment avez-vous su cela ?" lui demandai-je. Il me répondit : "J'étais au poste de garde quand on a nommé les hommes du peloton d'exécution". Alors j'ai compris ce qui se préparait pour moi : les pires tortures dans un bois quelconque, et la fusillade ensuite. Ma résolution fut irrévocablement prise : pour être sûr de ne pas parler, il faut se tuer, car pendant la torture l'on pouvait parler malgré soi. C'était le 27 juin 1944. L'officier de transmission avait dit que le débarquement pourrait avoir lieu le 27 juin; alors si je me tue et que le débarquement ait lieu dans quelques heures... Je décidai d'attendre jusqu'à la dernière minute. Dans ma cellule, je préparais mon couteau, la chemise déboutonnée et je me perchais sur deux planches placées en croix d'où je pus voir par la lucarne, l'entrée de la cour.
J'attendis patiemment; je ne puis dire combien... La porte s'ouvrit, le bourreau entre, puis l'interprète et quatre hommes bien armés, bien astiqués. Le bourreau gueula d'ouvrir ma cellule. Je sautais de mon perchoir. Je me plongeais le couteau dans la région du coeur; il ne rentra pas, il y avait une côte. Il faut recommencer : cette fois il rentre jusqu'au manche.
Je râlais, mais je compris que je ne serais pas encore mort quand ils seraient près de moi. Alors je me tranchais le poignet, et le sang coula comme lorsqu'on saigne un cochon... A bout de force, je m'allongeai sur mon bat-flanc... La porte s'entrouvrit, le sang inondait la cellule. Le bourreau reste stupéfait sans pouvoir prononcer un mot. Puis, il gueule : deux hommes arrivent...Ils font comme lui. Un troisième arriva, il m'arracha les bretelles et me ligatura le bras. Je ne voulais pas, mais il me maîtrisa. Le lieutenant arriva : il regarda mes blessures et dit "Il est perdu". L'on me pansa, l'ambulance arriva et l'on me transporta à l'hôpital civil de Draguignan, où le lieutenant croyait que le service funèbre ferait le reste le lendemain.
Malgré le poumon perforé je m'en tirais. Nuit et jour un gardien de la Paix était de garde devant la porte.Quelques jours après, ma femme put venir me voir, avec les complicités du personnel.
 
Pendant ce temps à Saint Maximin, Alfred Grimaud, ami intime de Paul Bertin, apprend par son beau frère Louis Crouzet ingénieur aux Ponts et Chaussées, que la fille de son supérieur hiérarchique est infirmière à l'hôpital de Draguignan, et de ce fait en contact quotidien avec Paul Bertin.
Ensemble, ils rencontrent cette infirmière nommée Mademoiselle Vidal et mettent au point l'enlèvement de Paul Bertin. Il doit être réalisé le 14 juillet 1944 avec la 402 des Ponts et Chaussées conduite par François Carpinetty de Draguignan. Doivent participer à l'opération deux maquisards de Draguignan, Louis Casanova et Aiguier, qui viennent de rejoindre le camp Vallier, ainsi que deux résistants locaux de la Motte, Jean Ramella et Maurice Michel.
Le jour venu, tôt dans la matinée, une première tentative avorte. Environ une heure plus tard, les hommes formant le commando décident de renouveler l'opération. Cette fois sera la bonne. Munis de pistolets de calibre 6,35mm, ils se précipitent à l'intérieur du bâtiment tandis que François Carpinetty muni d'une mitraillette monte la garde dans la voiture garée devant l'hôpital. Dans le couloir? ils désarment les deux agents de police en faction, qui ne présentent d'ailleurs aucune résistance, et les enferment dans une cellule vide qui se trouvent en face de celle de Paul Bertin. Puis ils libèrent ce dernier qui était enfermé avec deux prisonniers de droit commun.
Paul Bertin, toujours dans le même rapport, décrit ainsi son évasion :
 
Nous commençons, avec des amis de Draguignan, à préparer l'évasion qui a eu lieu le 14 juillet 1944 à 9h du matin.
Mais, depuis 8h l'infirmière m'a averti que j'étais sortant, que la Gestapo venait me reprendre à 10 heures. De 8 à 9 heures, oh ! que cette heure a été mauvaise ! Avoir par miracle échappé à la mort et aller à nouveau dans les mains de ces gens là, c'était terrible.
Enfin...arriva une auto... des bruits dans le couloir...la porte s'ouvrit et quatre hommes masqués, mitraillettes en mains, s'écrièrent ; "Bertin ! Vite ! Vite !".
Je partis en courant, tout nu, dans la voiture... Je vis les agents les bras en l'air. On les enferma dans ma cellule, et nous partîmes...
La voiture des Ponts et Chaussées, qui n'avait pas roulé depuis 8 ou 9 mois, avait la tuyauterie d'essence encrassée, et nous restâmes en panne à deux cent mètres de la Gendarmerie. Le chauffeur démonta la tuyauterie. Pendant ce temps, nous montions la garde, pistolet au poing. J'étais content d'être armé; j'étais ainsi sûr que la Gestapo ne pourrait me reprendre vivant. Enfin l'essence arriva, et nous partîmes.
Un peu avant Flayosc, nous arrivâmes devant un pont qui avait un énorme trou au milieu; après examen, nous tentons de passer.
C'est ce pont sauté qui nous avait sauvés, car les Boches le sachant, s'étaient élancés à notre poursuite sur les trois routes qui partaient de Draguignan, plein gaz; qu'ils ont bien été inspirés les réfractaires qui ont fait sauter ce pont pendant la nuit.
Après une crevaison, un éclatement, nous arrivâmes à Aups. L'on nous répara, et nous partîmes pour le camp des FFI du lieutenant Vallier au bord du Verdon, en face de Montpezat. Là je fus très bien reçu par le lieutenant, par ses hommes, et le commandant du camp que les hommes appelaient le patron, Monsieur Picoche, membre du CDL du Var.
Au bout d'une quinzaine de jours, j'allais beaucoup mieux et Monsieur Picoche me dit : "Maintenant que vous allez bien, il vaudra beaucoup mieux que vous alliez finir de vous rétablir dans une ferme, tandis qu'ici s'il faut décrocher, vous ne pourrez pas le faire..."
Je quitte le camp, je passe par Varages, Saint Maximin, et quelques jours après, j'avais rejoint ma femme et mon fils dans la commune de la Destrousse.
 
Le 20 août 1944, Paul Bertin, accompagné de sa famille, revient à Saint Maximin. Il est acclamé par la population et les FFI lui font une haie d'honneur. Deux jours plus tard il est nommé président du Comité de Libération avec pour adjoint le Père Robert de Biennassis.