Commencée de façon à nous faire espérer la victoire, la bataille de Crouy s'est achevée, en raison de la crue subite de l'Aisne, par le recul d'une partie de notre front. Les Allemands ne tirèrent que très faiblement partie de cet échec français, dont leurs communiqués et leur presse exagérèrent cependant l'ampleur et la portée.
Nous verrons l’ensemble de cette bataille puis des textes des 60e 276e 352e RI et du 64eBCA tirés de leur historiques officiels et une lettre qu’un soldat du 44e RI adresse à sa sœur.
Dès la fin de décembre 1914, notre Haut-Commandement avait décidé de s'établir plus solidement dans la région de Soissons.
Il avait donc tenté de prendre pied sur les hauteurs que l'Armée allemande du général von Kluck tenait au nord de cette ville.
Nos troupes commencèrent par gagner du terrain. Sur le plateau qui domine le cours de l'Aisne, à l'est de la route de Laon, des tranchées ennemies furent brillamment enlevées à la baïonnette.
Le 8 janvier, au nord-est de Soissons, après un bombardement qui surprit l'adversaire, notre infanterie fut lancée sur l'éperon 132.
Désemparés, perdant leur sang-froid, les Allemands n'opposent d'abord qu'une assez faible résistance.
Un bataillon de chasseurs à pied et un bataillon de tirailleurs marocains, soutenus par des troupes de la 55e division, montrent dans cette attaque un mordant extraordinaire, réussissent à atteindre le sommet de la crête, et s'installent sur l'éperon.
Devant la ruée frénétique de nos Africains, les Allemands lâchent pied, et, vainement, leurs officiers, revolver au poing, s'efforcent de les ramener au combat.
Le saillant de la ligne allemande et deux lignes de retranchements qui le soutiennent, tombent alors entre nos mains.
Le lendemain 9 janvier, l'artillerie tonne. Un duel assourdissant et prolongé s'engage entre nos pièces (47ème Régiment d'Artillerie de Campagne ) et celles de l'ennemi. Les fils de fer barbelés et les défenses accessoires volent en éclats. Notre infanterie va pouvoir s'élancer vers les brèches.
Le 10 janvier, à 5 heures du soir, après des assauts acharnés (35 et 47ème Régiment d’infanterie de ligne) nous parvenons à occuper deux nouvelles lignes de tranchées, en prolongement vers l'est. Grisés par leur ardeur, nos soldats se laissent même entraîner au-delà des objectifs indiqués. Une centaine de chasseurs perdent contact avec la ligne française, et sont bientôt cernés. Sommés de se rendre, ils répondent par un refus héroïque et succombent sous les coups redoublés des assaillants.
Le 11 janvier, la violence de nos obus détruit de fond en comble les tranchées de la Dent-de-Crouy, à l'est de la cote 132.
Malgré la pluie qui ne cesse de tomber, malgré la boue où ils enfoncent, nos fantassins, zouaves et chasseurs accourent avec une fougue irrésistible, maîtrisent les mitrailleuses, et enlèvent des prisonniers.
L'ennemi bombarde en vain ses propres tranchées, pleines de cadavres feldgrau. Nous les organisons rapidement pour y passer la nuit. Mais les Allemands, ressaisis et renforcés, résistent âprement à notre progression.
Au nord-est de Soissons, le village de Crouy constitue une position importante et violemment disputée. Bientôt ses maisons croulent sous la tempête de feu, ainsi que celles des villages environnants : Pommier, Bucy-le-Long, Missy-surAisne. Cependant, grossie par les pluies torrentielles des derniers jours, l'Aisne, qui coule à l'arrière de nos positions, vient d'accuser tout d'un coup une montée de niveau des plus inquiétantes.
Subitement, dans la nuit du 11, son cours déborde. La situation de nos troupes sur la rive droite va devenir d'autant plus aventurée que la force du courant menace d'emporter les ponts de bateaux.
Dans la matinée du 12 janvier, la situation s'aggrave. Les Allemands déclenchent une contre-attaque générale.
Au petit jour, ils donnent l'assaut à l'éperon 132 dont nous tenions la croupe (44e et 60ème Régiment d’infanterie de ligne), s'en emparent, descendent vers Crouy qu'ils enlèvent, et dirigent de là un feu infernal sur nos positions. Puis leur infanterie continue à progresser, et vers midi, elle réussit à enlever trois lignes de nos retranchements.
Dans la soirée, notre contre-attaque rejette l'adversaire sur la route de Soissons à Laon. Mais de puissants renforts accourent du côté de l'ennemi. Nous sommes bousculés, et l'avalanche gris-vert dévale jusqu'à nos positions d'artillerie de campagne.
Déjà, des batteries lourdes, nombreuses et bien dissimulées, avaient mis la plupart de nos pièces hors de combat. Les servants n'en opposèrent pas moins une magnifique résistance.
Un sous-lieutenant, dont tous les hommes avaient été tués ou blessés, continua, avec son maréchal des logis, de servir ses deux canons de 75, tirant à zéro sur l'infanterie qui les encerclait.
Les munitions épuisées, cet officier encloua les canons, et chargeant à la tête de quelques fantassins, il réussit à rallier nos lignes.
La situation n'était pas désespérée si des renforts pouvaient surgir.
Mais la crue de l'Aisne vient d'emporter les ponts de Villeneuve et de Soissons.
Nous n'avons plus, pour organiser la retraite, que le pont des Anglais, à Soissons, le pont de Venizel et une passerelle qui se trouve à 1500 mètres en aval. Notre retraite devra s'opérer par échelons, tandis qu'une contre-attaque contiendra l'ennemi et le trompera sur nos véritables intentions.
Cette contre-attaque est confiée au général Nivelle. Celui-ci se porte au-devant de l'ennemi avec un effectif d'environ deux divisions.
Tandis que les débris de l'infanterie et de l'artillerie qui défendaient le plateau de Crouy rétrogradent lentement et gagnent la rive gauche de l'Aisne, des troupes fraîches (dont le 352e RI) gravissent les pentes entre Crouy et Bucy le Long et occupent le bois de Crouy, situé à flanc de coteau.
Le 13 janvier
A la faveur de la nuit ces troupes se déploient dans la plaine ; et, le 13 janvier, vers 3 heures du matin, elles atteignent les positions défensives, d'ailleurs assez précaires, sur lesquelles elles ont reçu l'ordre de se maintenir pendant quelques heures.
Il fallait agir avec d'autant plus de circonspection et de prudence que les tranchées allemandes se trouvaient à moins de six cents mètres des nôtres. Une compagnie du 2e régiment mixte de zouaves et de tirailleurs, qui cherchait des renseignements, se heurta, dans la nuit, à ces positions.
Sans hésiter elle attaqua, et trouva, dans une éventualité si périlleuse, l'occasion d'un succès. Mais la lutte s'étendit. Des forces ennemies commençaient à nous déborder de partout. Un seul parti nous restait : le repli le plus lent possible vers l'Aisne, en tenant tête à l'ennemi.
A six heures du matin, une assez faible partie de nos troupes avait pu repasser la rivière. Nos soldats, cependant, ne se laissaient pas abattre. Dans cette phase suprême du combat, la 55e division perdit beaucoup de monde.
Un de ses régiments, le 289e d'infanterie, fut à peu près anéanti.
Le 246e, le 276e, le régiment marocain et le 124e territorial souffrirent cruellement du feu des canons ennemis.
Mais nous étions du moins parvenus à empêchez les Allemands, de s'accrocher à nos arrières, et nous eûmes le temps de faire sauter le pont de Soissons, qui aurait pu leur permettre de nous poursuivre sur la rive gauche. Sous l'effort persistant de l'Aisne, le dernier de nos ponts de bateaux menaçait de se disloquer. Il ne nous restait que le pont de pierre de Venizel pour assurer nos communications.
Encore fallait-il à tout prix empêcher l'adversaire de le franchir. Dans ce but, nous nous renforçons en hâte sur la rive gauche, dans les villages de Billy et de Venizel. Rues et ruelles, cours et jardins se couvrent de retranchements de fortune édifiés à l'aide de herses, d'échelles et de charrues.
Il faut aux travailleurs autant de bravoure résignée que d'activité et d'efforts, car le bombardement ennemi fait rage autour d'eux.
Le cimetière de Billy, refuge des fantassins du 289e régiment d'infanterie, se trouve ainsi accablé par une pluie d'obus qui fait voler en éclats les croix des tombes et les murs des caveaux.
Nous occupons solidement la ferme de la Demoiselle, d'où le pont de Venizel peut être pris d'enfilade par nos feux.
Cependant, sur la rive droite, le combat tirait à sa fin. Nos arrière-gardes ne tenaient plus les crêtes et luttaient à mi-pente contre l'ennemi solidement installé à Bucy le Long, au Moncel et à Sainte-Marguerite.
Les canons allemands étaient déchaînés contre nous et nous interdisaient le passage du pont de Venizel.
Par malheur, notre dernier pont de bateaux venait d'être emporté par la crue
Sous la pluie froide et serrée, les derniers défenseurs du plateau de Crouy cherchaient vainement à traverser l'Aisne. Les obus fauchaient des sections entières, impitoyablement.
A Venizel, les infiltrations de la rivière minaient les murs de terre, et nos retranchements s'éboulaient.
Nos soldats déployaient partout des efforts surhumains.
En face d'eux brûlaient Bucy le Long, Le Moncel et Crouy.
L'ennemi cherchait à gagner de vitesse les dernières troupes françaises qui tentaient de refluer vers la rive gauche de l'Aisne. Quand la nuit vint, ses canons lourds ne cessèrent pas de couvrir les berges de projectiles, ainsi que les abords immédiats du pont de Venizel.
Un peu avant l'aube du 14 janvier, l'infanterie allemande descend du plateau, se rapproche de la rive droite, et, formée en colonnes de bataillon, s'apprête à tenter le passage de la rivière.
Vainement, ces colonnes tentent d'aborder le pont de Venizel. Nos batteries de la rive gauche font d'énormes trouées dans les masses feldgrau, qui, après une demi-heure d'efforts inutiles, évacuent les pentes et se retranchent prudemment derrière les crêtes. Cette poussée allemande réussit à progresser seulement vers Soissons où elle s'empare du faubourg de Saint-Paul. Sur le plateau de Crouy, nous ne laissons pas l'adversaire s'installer à sa guise; nos canons ne cessent de bouleverser ses positions.
Le gros de nos forces, qui n'avait pas réussi à franchir l'Aisne, s'établit dans la boucle que forme la rivière au nord-est de Soissons. De là, nous pouvions assurer la protection de la ville.
Notre recul avait atteint dix-huit cents mètres, sur une largeur de quatre kilomètres et demi. |