Un village où on fait du verre
Provence Historique - Fascicule 166
(Danièle Foy)
 

Le village où fit étape Waltheym, entre Aix et Saint-Maximin, pourrait bien être Pourcieux. Dans cette localité une officine de verrier était en effet en activité depuis le second quart du XV' siècle au moins. La plupart des
hommes qui s'y relayèrent de 1444 jusqu'au XIV' siècle appartenaient à la même famille d'artisans émigrés d'AItare: les Masse. Lors du passage de Waltheym le maître verrier était probablement Astorg (1) (mentionné de 1477 à 1493) qui succédait sans doute à Louis (2) (connu en 1444) et/ou Jean (3) (1448 : mort avant 1472) et dont le fils André exerça le même métier (4).

Les altaristes, générique désignant les verriers issus de la même cité du Montferrat italien ont essaimé à partir du XVème siècle en Provence puis aux XVIème et XVIIème dans toute France et les Pays-Bas. Ils imposerone à toute l'Europe le verre « façon de Venise ». La famille des Masse, faisane partie des premiers arrivants, est assez bien représentative de ces communautés altaristes.
Véritable tribu, la famille n'a pas en charge que la seule fabrique de Pourcieux.
A Saint-Maximin sont mentionnés Antoine (5) (Macelli ou Massarius) dès 1425 et 1427 et plus tard Barthélemy, en 1471 (6). Un autre Antoine Masse est associé aux Ferry en 1458 à Avignon (7). Paulet Masse en 1499 est tantôt dit verrier de Nans, tantôt de Rougiers (8). En 1501, Thomassin est installé à SaintZacharie (9) tandis que Philippe et Antoine sont verriers ou marchands verriers en 1504 à Aix (10), ville où réside encore Boniface en
1510 et 1527 (11).

Pourcieux est un bel exemple de site pérenne pour l'artisanat du verre.
Durant la première moitié du XVIème siècle, les feux de la fabrique étaient toujours allumés. De nombreux artisans italiens constitués en association nous sont alors connus. Parmi eux on relève les noms d'Antoine et Jean Ferre issus de la plus célèbre lignée de verriers. Cependant les propriétaires de l'officine semblent toujours être les Masse puisqu'en 1527 Boniface et Raymond Masse donnent à rente la verrière à Paulet del Rove (12). Le verre est toujours produit à Pourcieux aux XVII" et XVIII" siècles. Les maîtres de l'établissement sont tour à tour les Escrivan, les Queylar (13) et les de Ferry, patronymes notoires dans le monde des verriers de cette époque (de 1597 vers 1750 se succèdent Jacques, Esprit, Joseph et François d'Escrivan. En 1751 et 1752 nous y trouvons Jean-Mathieu Queylard; de 1781 à 1785 Barthélemy Ferri de la Blache est mentionné comme maître verrier).

L'atelier s'est éteint à la fin du XVIII~ siècle, probablement entre 1785 et 1792. A cene dernière date en effet, le citoyen Barthélemy Ferry de la Blache, habite toujours à la verrerie, cependant il n'est jamais qualifié de
verrier mais d'« administrateur départemental du Var» (14).

Si Waltheym a visité la verrerie, ce que semble sous-entendre son récit, elle devait être facilement accessible. Il faut donc rejeter l'idée d'une officine sylvestre très éloignée du village ou d'une voie de communication importante.
L'emplacement des ateliers de verriers, au Moyen Age est extrêmement variable mais la situation for:estière est cependant celle qui prévaut. Nous connaissons néanmoins, des fabriques urbaines, péri urbaines, dans les enceintes villageoises ou encore des établissements monastiques fixés à l'intérieur des bâtiments religieux ou au contraire, rejetées dans les propriétés boisées du domaine ecclésiastique (15). L'atelier de Pourcieux n'a pas été reconnu par l'archéologie. Seuls divers fragments de creusets ont été recueillis dans le village. Nos connaissances sur l'officine de Pourcieux ne reposent donc que sur des sources écrites. Il semble ainsi que les verreries successives n'aient pas occupé la même position géographique. Au début du XVIème siècle, il est question de la verrerie établie contre l'habitation du seigneur d'Ollières: c'est l'atelier qui a pu être visité par le voyageur (16) . En revanche au XVIIIème siècle la fabrique de Barthélemy Ferry de la Blache est dans les murs de la Bastide Blanche dite aussi bastide Saint-Sauveur.

Le jugement élogieux porté par l'étranger sur la qualité des verres mérite quelques remarques. Waltheym, originaire du Nord des Alpes, a l'habitude de faire usage de verres de teinte vert foncé, fabriqués localement. Ce type de verre, bien connu des archéologues est appelé Waldglas ou verre de fougère.
C'est une production germanique qui se développe ve rs le milieu du XIve siècle, devient prépondérante au siècle suivant et jusqu 'au milieu du XVIème siècle. Les Waldgliiser doivent leur teinte verte caractéristique aux oxydes contenus dans les matières premières non purifiées, en particulier le sable et les cendres potassiques (l7). Celles-ci proviennent le plus souvent de la combustion de fougères, de bois de hêtre et de bruyères. Dans les régions méditerranéennes occidentales. la situation est différente; les artisans savent. depuis la fin du XIIIème siècle au moins, obtenir un verre parfaitement blanc. Il faudra attendre le début du XVIème siècle pour que ce verre incolore devienne commun à toute l'Europe. exceptés les pays germaniques qui ne l'adopteront que quelques décennies plus tard. On comprend ainsi l'étonnement de Waltheym devant des verres de forme et de matière tout à fait différentes de la vaisselle qui lui est habituelle.

(1). A.D., Aix, 309 E 247 r 506, 309 E 354 fO 797, 303 E 33 non fo lioté, 25 août 1493.
(2). Id. 302 E 298.
(3). Id. 303 E 25 fO CXlII .
(4). Id. 303 E 33 et 308 E 599 fO 89.
(5). Id. 308 E 265 fO XLVll ; 308 E 266 fO XVlII, 306 E 996 CO XXXVIII.
(6). Id. 303 E 25 fO XXV.
(7). Bibl. mun. d'Avignon, fichier du chanoine Requin, dictionnaire d'artistes ms. 4495.
(8). A.D. 13, Aix 308 E 722 fO 107 et A.C. Marseille 20 ii 204.
(9).A.D. 13, Aix 308 E 898 f02.
(10).ld. 308 E 762 fO 168 et 341; 308 E 935 fO 219.
(11). A.C. Marseille 20 ii 204.
(12). Acte du notaire G. Arbaud du 15/7/1527 cité par P.A. LOMBARD, Répertoire des
verreries du département du Var, Draguignan 1961, p.16, dacrylographié - déposé au
Archives départementales du Var et des Bouches-du-Rhône.
(13). A.C. Pourcieux BB 8 r 185 à 189; EE J ; FF 23.
(14). Testament de B. Ferri de la Blache « bourgeois de la ville de Toulon, administrateur
départemental du Var ... , residan a la ditte bastide blanche depuis plusieurs années, 12 août
1792, notaire Claude Bouchard, Pourrières (archives privées).
(15). D. Foy, Le verre médiéval et son artisanat en France méditerranéenne, 1988,
chapitre IV.
(16). Cf. note 12.
(17). Les caractéristiques du Waldglas ont bien été bien étudiées et les différentes formes de verre de ces productions sont bien repertoriées. A titre d'exemple, voir J.P. RIES, La verrerie dans Encyclopédie de l'Alsace, Strasbourg, 1986, volume 12, p.7S86-7S96.