La République a mis du temps pour honorer les victimes du coup d’État de 1851 : la République conservatrice (1871-1879) les a ignorées, et il faudra attendre la victoire des vrais républicains pour que se mette en place l’entreprise nationale de réhabilitation et d’hommage.
Ainsi, en décembre 1880, comme dans tous les départements, le préfet du Var demande à chaque maire de lui présenter la situation actuelle des personnes ayant eu à souffrir des suites du coup d’État. A priori la mesure ne doit pas concerner toutes les victimes : « Pour que vous soyez bien fixé sur le sens de ma circulaire, je crois devoir vous rappeler que, dans cette circonstance, l’intention de l’Administration Supérieure est de venir en aide à celles des victimes politiques qui sont dans le besoin, en leur accordant des secours, et non de les indemniser des dommages qu’elles ont subis. Il s’agit donc seulement de secourir ceux qui, par l’absence d’une fortune personnelle, par l’insuffisance de leur industrie ou de celle de leurs enfants, n’auraient pas les moyens de pourvoir aux premières nécessités de la vie » (28 décembre 1880).
Mais en fait le recensement touchera la totalité des victimes qui voudront se manifester, et, dans le Var comme ailleurs, la pension accordée par la République fonctionnera comme un brevet de reconnaissance de l’engagement républicain contre le coup d’État.
Pour autant, aussi impressionnante qu’elle soit, la liste des pensionnés est loin de comptabiliser la totalité des victimes du coup d’État, et, partant, l’ampleur de la résistance de 1851 telle que nous les présentent les dossiers des Archives départementales du Var (série M, cotes 19 à 36). Bien des participants au mouvement de résistance ont pu échapper à la dénonciation et à la répression, et donc ne figurent pas dans les dossiers de justice. Et parmi ceux qui eurent affaire à la répression, nombreux sont ceux qui, pour des raisons diverses, n’ont pas reçu de pension. C’est naturellement le cas de ceux qui ne l’ont pas sollicitée, le cas des demandes trop tardives, le cas des victimes décédées sans parents pouvant se réclamer de leur action. En cas de décès de la victime, seuls les ascendants, s’ils vivent encore, et les descendants directs (fils et filles) ont eu droit à la pension. Les dossiers déposés par des frères et des sœurs ont donc été rejetés. À quoi il faut ajouter le refus opposé aux quelques-uns qui étaient devenus soutiens actifs de l’Empire.
La liste des pensionnés ne porte aucune indication concernant le préjudice subi et les éventuelles condamnations. Il faut donc se reporter aux archives de la répression, et, en ce qui concerne les déportations en Algérie, au remarquable et indispensable ouvrage de : Maurice BEL, Les condamnés à l’Algérie en 1852 dans le département du Var, chez l’auteur (Le Mont Rose, 11 avenue de Picardie, 06000 Nice).
La liste ne précise pas quelles victimes sont mortes au combat, exécutées ensuite, ou mortes en détention. Sur les insurgés tués à la bataille d’Aups, une lecture indispensable : Frédéric Négrel, « Morts pour la République », Bulletin de l’Association 1851, n°24, juillet 2003, en ligne : http://www.1851.fr
Sans que ce barème soit officiellement précise, un consensus s’est établi sur la hiérarchie des pensions : 1200 F pour les déportés au bagne à Cayenne ou au bagne en Algérie, et pour les parents des insurgés morts au combat ou exécutés, 1000 F pour les « transportations » de plus d’un an en Algérie, 800 F pour les « transportations » de moins d’un an en Algérie, ou pour les contumaces et bannis, 600 F pour l’internement en France, 400 F pour les emprisonnements de plusieurs mois en France, suivis de surveillance, 200 F pour les emprisonnements inférieurs à un mois, 100 F enfin pour les personnes interpellées, mais aussi 100 F pour des personnes relevant des sommes précédentes mais dont la conduite politique n’a pas été correcte sous l’Empire : on comprend la difficulté de faire le tri entre ces deux dernières catégories sur la liste des pensions, qui ne précise pas la motivation de l’attribution.
Le 20 septembre 1882, le Président de la République signe le décret autorisant l’inscription au Trésor public des rentes ou pensions viagères ainsi allouées par les lois du 30 juillet 1881 et du 7 août 1882.
René MERLE |