CASTELLAN Gabriel Léon
 
Le 13 juillet 1916 avec le 89e RI au bois de La Chalade
 
 

Le 13 juillet, au matin, sur le front attaqué par l'ennemi, la 9e division avait encore en première ligne deux régiments, le 4e régiment d'infanterie vers la croupe 263, le 113e en avant de la hauteur 285.
Le 66e bataillon de chasseurs et le 82e régiment d'infanterie formaient réserve, partie dans les baraquements, partie en cantonnement d'alerte à Clermont-en-Argonnes.
La 125e division occupait, avec le 91e régiment d'infanterie, le fond des Meurissons, avec le 76e, la ligne des Courtes-Chausses.
Les 72e et 131e régiments d'infanterie, en réserve, s'échelonnaient dans la vallée de la Biesme.

Le 13 juillet, à 4 heures, une puissante artillerie ennemie ouvrait, sur tout le front compris entre la hauteur 263 et le ravin des Courtes-Chausses, un violent bombardement, précurseur de l'assaut. Bientôt on apprenait par un déserteur que l'attaque devait se produire vers 10h30, entre le Four­de-Paris et Vauquois.
Le commandant du 5e Corps d'Armée prenait immédiatement ses premières dispositions: il faisait errer les réserves de divisions, soit 9 bataillons, et les tenait prêtes à riposter par de vigoureux retours offensifs.
Cependant, notre artillerie avait tendu des barrages et répondait immédiatement à l'artillerie ennemie.
D'autre part, le commandant de l'Armée avait remis à la disposition du 5e Corps d'Armée la brigade maintenue en réserve de groupe d'Armées.
Le 89e régiment d'infanterie, transporté en camions automobiles jusqu'au Claon, reçut l'ordre de continuer par échelons sur la Croix-de-Pierre et de s'y établir en position d'attente. On pouvait espérer que le premier bataillon serait  amené à pied d’œuvre vers midi.
Enfin, le 46e régiment d'infanterie fut maintenu alerté à Parois-Vraincourt, en attendant que la situation s'éclaircît du côté de la 1 e division.
Cependant, dès 6 heures, tout en poursuivant la destruction de nos premières lignes, les Allemands, pouf gêner les mouvements des renforts, tendaient, â hauteur de la Pierre-Croisée et de la Maison Forestière, à cheval sur la Haute-Chevauchée, deux barrages d'obus asphyxiants.
Ce tir s'effectuait par salves de quatre coups, échelonnées de 30 en 30 secondes, les rafales durant une demi-heure et étant suivies de périodes de ralentissement plus ou moins longues.
Peu â peu, par un temps très calme qui favorisait la stagnation des gaz asphyxiants , un nuage blanchâtre à odeur d'amandes amères, piquant les yeux et provoquant une sensation de suffocation, s'élevait au-dessus du sol et s'accumulait dans les fonds, les tranchées et les abris.
Les hommes de renfort, munis de masques, purent franchir les barrages sans être trop incommodés  mais la situation des éléments immobilisés dans la zone battue devint vite intenable.
C'est ainsi que l'état-major de la 9e division dut quitter son abri de Pierre-Croisée et que les servants des deux batteries lourdes de la Maison Forestière furent réduits, à plusieurs reprises, à abandonner leurs pièces.
Le bombardement systématique des tranchées de première ligne et de soutien par des obus de gros calibre et les projectiles de minenwerfer se poursuivait parallèlement à l'établissement des barrages de gaz asphyxiants.
Il semble aussi que les Allemands aient utilisé, pour lancer ces gaz, des bombes de grande capacité ou des appareils d'émission masqués sous casemates à créneaux bas.
Quoi qu'il en soit, lorsque, vers 8 heures, l'attaque d'infanterie se produisit sur la cote 263, les tranchées étaient en grande partie détruites ; certaines fractions du 4e régiment d'infanterie cédèrent sous le choc, et l'ennemi s'infiltra dans nos lignes en plusieurs points.
Le général de division dut aussitôt faire appel à ses réserves; une contre attaque d'un bataillon du 82e régiment d'infanterie réussit momentanément à enrayer la progression de l'ennemi.
Mais, à 10h30, une nouvelle attaque allemande ayant pour objectif la hauteur 285 perçait les lignes du 4e régiment d'infanterie, refoulait le 113e et pénétrait jusqu'à la hauteur 285.
Les deux derniers bataillons du 82e régiment d'infanterie furent jetés en avant, entre les hauteurs 263 et 285, pour enrayer ce mouvement.
Mais, un peu plus tard, on apprit que la droite de la 125e division cédait, que le 91e régiment d'infanterie était écrasé, que le 113e reculait; déjà l'ennemi s'approchait de Pierre-Croisée.
Le général commandant la 9e division n'hésita pas à engager ses derniers effectifs : le 66e bataillon de chasseurs. Il lui ordonna de reprendre à tout prix la hauteur 285.
La contre-attaque se produisit entre 13 et 14 heures.
Dès midi, les dispositions avaient été prises pour faire serrer les réserves du Corps d'Armée.
Le 89e régiment d'infanterie reçut par téléphone l'ordre de pousser ses deux bataillons de tête au fur et à mesure de leur arrivée jusqu'à la Maison Forestière et de les tenir à la disposition du général commandant la 9e division, pour le cas ou' leur intervention deviendrait nécessaire.
Le 3e bataillon devait rester à la Croix-de-Pierre, à la disposition du général commandant le Corps d'Armée.
D'autre part, du côté de la 10e division, le bombardement restait modéré; aucune attaque n'apparaissait imminente.
Le 46e régiment d'infanterie reçut en conséquence l'ordre de se mettre en marche sur la Croix-de-Pierre. A 13 heures, toutes ces dispositions étaient en voie d'exécution.
Mais, dès 14 heures, le commandant du 5e Corps d'Armée avait pris la décision de faire donner toute la fraction de la réserve de Corps d'Armée arrivée à la Maison Forestière (deux bataillons du 89e régiment d'infanterie), pour rétablir la situation sur la Haute-Chevauchée et la croupe de la Fille-Morte.
Avant que cet ordre reçût son exécution, la situation, bien que devenue meilleure, restait cependant difficile.
Le 66e bataillon de chasseurs, au prix de pertes élevées atteignant 30% de l'effectif, avait réussi à prendre pied sur la croupe 285; mais les éléments de la 125e division, à gauche, résistaient avec peine à la pression de l'ennemi.
Pour assurer définitivement notre ligne de ce côté, le bataillon de tête du 89e régiment d'infanterie fut, à 15 heures, lancé à la gauche des chasseurs, et son intervention, des plus opportunes, nous permit d'assurer définitivement l'intégralité du front à l'ouest de la Haute-Chevauchée.
Un peu après 16 heures, le général Micheler (5e Corps d'Armée) se transportait au poste de commandement du général Arlabosse (9e division), à la Maison Forestière, pour envisager l'emploi des réserves encore disponibles.
La situation était à ce moment la suivante : du coté de la 125e division, la ligne tenait ferme; plus à l'est, les chasseurs occupaient la hauteur 285; le 4e régiment d'infanterie se maintenait dans le réduit du saillant 263; le 82e s'accrochait aux pentes abruptes entre ces deux points; mais la liaison restait mal assurée et, à chaque instant, la ligne était exposée à céder.
Le général commandant le 5e Corps d'Armée donna, en conséquence, l'ordre au commandant de la 9e division de prononcer une attaque pour dégager le front du 82e régiment d'infanterie, et mit, dans ce but, à sa disposition les deux bataillons restants du 89e.
L'artillerie lourde prépara l'entrée en action du 89e régiment d'infanterie en effectuant un tir de barrage contre les anciennes tranchées françaises et, vers le nord, l'artillerie divisionnaire fut chargée d'appuyer plus immédiatement l'attaque.
Notre contre-attaque se produisit vers 18 heures.
Prise à partie par l'artillerie et surtout par les mitrailleuses ennemies, elle n'aboutit à aucun résultat décisif.
En fin de journée, nous n'avions pas réussi, malgré tous nos efforts, à reprendre la ligne de tranchées reliant la croupe 285 au réduit 263.
Mais la liaison était rétablie un peu en arrière.
A l'ouest de la Haute-Chevauchée, la ligne formée sur la crête de la Fille-Morte se reliait à la droite de la 125e division. Quant aux deux bataillons du 46e régiment d'infanterie, obligés de prendre dans la vallée de l'Aire des cheminements défilés pour échapper au tir de l'artillerie ennemie et retardés, par suite, dans leur mouvement, ils constituèrent, à la Croix-de-Pierre, la réserve du Corps d'Armée.
A la 125e division, la lutte n'avait pas été moins chaude. De 3h30 à ici 10h30, un bombardement extrêmement intense de projectiles de gros calibre et d'obus asphyxiants lancés par minenwerfer, bouleversait les tranchées de première ligne et de soutien, du Fer-à-Cheval au réduit des Meurissons.
L'attaque suivait entre 10h30 et 11 heures
Au réduit des Meurissons, la garnison, constituée par un bataillon du 91e régiment d'infanterie, se cramponnait au sol sous un violent bombardement, accompagné d'émission de gaz ; mais un jet de liquide enflammé forçait la compagnie de droite à reculer, et les Allemands s'infiltrèrent par le ravin des Meurissons.
Le commandant du bataillon chercha alors à se frayer un chemin à la baïonnette. Les autres bataillons du 91e régiment d'infanterie se voyaient bientôt contraints, dans les mêmes conditions, de refluer vers les lignes de soutien, non sans subir de fortes pertes.
De vigoureuses contre-attaques des fractions disponibles, qu'appuyait le gros du 131e régiment d'infanterie, parvenaient à rejeter, un instant, l'ennemi dans le ravin des Meurissons.
Mais nous étions bientôt arrêtés par un feu terrible de mitrailleuses allemandes.
Les débris du 91e régiment d'infanterie mêlés au 131e, cherchèrent à se reformer dans les ouvrages de la ligne de soutien. A gauche, ils se maintinrent dans les ouvra­ges 12 et 11 mais, à droite, ils ne purent que s'établir à la crête de la Fille-Morte.
Ils infligèrent de fortes pertes à l'ennemi qui attaquait en formations compactes. Dans la soirée, la liaison avec la gauche de la 9e division était assurée.
Plus à l'ouest, le bataillon de gauche du 76e régiment d'infanterie, peu menacé, conservait ses tranchées de première ligne; mais les autres éléments de ce régiment, annihilés par les gaz asphyxiants et les jets de liquide enflammé, ne tardaient pas à se réfugier dans les ouvrages 13, 14 et 15 de la ligne de soutien. Ces ouvrages n'étant pas reliés entre eux, l'ennemi parvint à se glisser dans les intervalles; et six contre-attaques successives, effectuées par le 72e régiment d'infanterie, furent nécessaires pour conserver cette nouvelle ligne. Au cours de la nuit, la lutte se poursuivit partout sans interruption.

Le 13 juillet au soir
, le général commandant le 5e Corps d'Armée prescrivait aux généraux commandant les deux divisions de reconstituer des réserves en arrière de leur front et de profiter de cette reconstitution pour rétablir, dans la mesure du possible, les liens tactiques en partie disloqués par le combat. (Journal de marche du 161e régiment).