du 13 mars au 7 mai 1954 : La bataille de Diên Biên Phu

 
Bélligérants
 
France
Viêt Mihn
Etat du Viet Nam    
 
Commandants
 
 
 
  colonel puis général Christian de Castries   général Võ Nguyên Giáp
 
Forces en présence le 13 mars 1954
 
  10 800 hommes   48 000 combattants
15 000 hommes en support logistique
 
Forces en présence le 7 mai 1954
 
  14 014 hommes (y compris service et logistique)   80 000 hommes (y compris service et logistique)
 
Pertes
 
  2 293 morts
5 195 blessés
11 721 prisonniers (dont 3 290 survivants et
7 801 morts ou disparus)
  4 020 morts (chiffres fournis par le Viêt Mihn)
9 118 blessés ou prisonniers
792 disparus
 
La préparation
 
Situation de Diên Biên Phu
 
Le site de Diên Biên Phu
 

Diên Biên Phu ou Ðiện Biên Phu est une petite plaine située au nord-ouest du Viêt Nam dans la province de Lai Châu dans le haut Tonkin, et au centre de laquelle se trouve la petite ville de Diên Biên Phu. Elle se trouve à proximité des frontières chinoise et laotienne, en plein pays thaï (pays des tai dam).

En vietnamien, Ðiện désigne une administration, Biên un espace frontalier et Phủ un district, soit, en termes francisés, « chef-lieu d'administration préfectorale frontalière ». En langue taï, la ville se nomme Muong Tenh, muong, désignant le lieu, pays ou ville et then, le ciel.

La plaine est couverte de rizières et de champs, avec le village proprement dit, et une rivière, la Nam Youn, qui la traverse. C'est le seul endroit plat à des centaines de kilomètres à la ronde, avec une altitude moyenne de 400 mètres. L'habitat, essentiellement de maisons sur pilotis, est dispersé. La vallée comporte un ancien aérodrome aménagé par les Japonais durant la Seconde Guerre mondiale. Il est orienté dans le sens nord-sud et dispose de deux pistes plus ou moins parallèles à la rivière.

La vallée, aussi orientée nord-sud, a une longueur de 17 kilomètres. La largeur d'est en ouest varie de cinq à sept kilomètres. À l'est et au nord-est se trouve une zone de petites collines grimpant progressivement vers des sommets boisés qui s'étagent entre 1 000 et 1 300 mètres. La dénivellation entre la vallée et les cimes des montagnes varie de 600 à 700 mètres.

Diên Biên Phu est relié au reste du pays par la route provinciale 41 (RP 41), qui conduit à Hanoï, et par une piste qui se dirige au nord vers la Chine, via Laï Chau, capitale du pays thaï.

 
L'opération Castor
 

Au matin du 20 novembre 1953, dans le cadre de l’opération Castor, deux bataillons de parachutistes français, le 6e bataillon de parachutistes coloniaux (6e BPC), du chef de bataillon Bigeard et le 2e bataillon du 1er régiment de chasseurs parachutistes (II/1er RCP) du chef de bataillon Bréchignac s’emparent de la vallée de Diện Biên Phu, défendue par un détachement peu important de l’armée Việt Minh. D’autres unités parachutistes sont larguées en renfort dans l’après-midi et les jours qui suivent, notamment le 1er bataillon de parachutistes coloniaux (1er BPC), du chef de bataillon Souquet, le 1er bataillon étranger de parachutistes (1er BEP) du chef de bataillon Guiraud, le 8e bataillon de parachutistes de choc (8e BPC) du capitaine Tourret et le 5e bataillon de parachutistes vietnamiens (5e BPVN) du chef de bataillon Bouvery.

L’ancienne piste d’atterrissage construite par les Japonais durant la Seconde Guerre mondiale doit être rénovée, et après avoir réussi le parachutage d’un bulldozer, le génie se met à l'œuvre. Le 25 novembre, un premier avion se pose à Diên Biên Phu, et s’ensuit un acheminement d’hommes, de matériel, d’armes et de munitions. Cette noria aérienne va fonctionner pendant quatre mois pour créer, ravitailler et renforcer le camp retranché. Le matériel lourd (artillerie et blindés) est démonté à Hanoï, transporté en pièces détachées, puis remonté à l’arrivée.

Peu à peu, les unités parachutistes sont relevées par des unités d’infanterie envoyées de Hanoï, à l'exception du 1er BEP et du 8e BPC qui resteront à DBP jusqu'à la fin des combats. Les nouveaux arrivants aménagent des emplacements de combat, édifient des fortins en utilisant le bois de certaines habitations du village, de la tôle et des poutres, creusent un vaste réseau de tranchées et installent des mines et des réseaux de fil de fer barbelé. Le commandement n’a pas jugé la menace suffisante pour demander le parachutage de béton et améliorer la résistance des fortifications.

 
Organisation du camp retranché
 

Le camp est conçu pour assurer la défense de la piste d'aviation de 1000 m de lon où doivent arriver tous les ravitaillements et les renforts.

Autour de cette piste sont implantés quatre points d’appui constituant le centre principal de résistance. Le colonel de Castries baptise de noms féminins ces différents points d’appui (PA). Le centre principal de résistance comprend donc :

  • à l’ouest de la piste, dans la rizière, le PA Huguette tenu par un bataillon.
  • à l’est de la piste et de la rivière Nam Youm, sur la plus haute colline, le PA Dominique tenu par un bataillon.
  • au Sud de la piste, dans la rizière, le PA Claudine qui comprend le PC opérationnel, des batteries d’artillerie et le groupement d’intervention GAP2, composé du 8e Choc et du 1er BEP.
  • au sud-est, sur les collines surplombant la Nam Youm, en dessous de Dominique, le PA Éliane tenu par un bataillon.
Chaque point d’appui comporte quatre môles de résistance tenus chacun par une compagnie.

Le centre principal de résistance est couvert :

  • au nord-est, sur un grand piton, par le PA Béatrice tenu par un bataillon.
  • au nord par le PA Gabrielle, sur un piton allongé dans le prolongement de la piste, également tenu par un bataillon.
  • au nord-ouest, sur un plateau, par le PA Anne-Marie tenu par des éléments Thaï.
Un point d'appui éloigné, Isabelle, a été implanté à 5 km au sud du dispositif principal, le long de la Nam Youm. Il a été établi le 15 décembre 1953 par le 2/1 RTA puis renforcé en janvier 1954 par un bataillon de la Légion étrangère, le 3/3 REI, deux batteries d’artillerie de 105 du 3/10 RAC, un peloton de chars, et doit pouvoir appuyer de ses feux le centre principal de résistance.
 
Les différentes phases de la bataille
 
La prise du camp de Dien Bien Phu par les troupes du général Giáp s'est déroulée en trois phases principales.
 
Premiers assauts des 13 et 15 mars 1954
 
Les positions françaises du 13 au 15 mars 1954 et le premier assaut Viêt Minh
 

L'attaque débute le 13 mars à 17h00 par une intense préparation d'artillerie visant le centre de résistance Béatrice, l'un des CR les plus éloignés du dispositif, tenu par le 3e bataillon de la 13e demi-brigade de Légion étrangère (III/13e DBLE), commandé par le chef de bataillon Pégot. L'attaque n'est pas une surprise pour les défenseurs, puisque les services de renseignement français avaient correctement prévu l'endroit et l'heure où elle se déclencherait, mais pas la puissance de feu de l'artillerie viêt minh qui cause un véritable choc. Le point d'appui est écrasé par les obus de canons et de mortiers lourds. Il en reçoit des milliers en quelques heures. Les abris, non conçus pour résister à des projectiles de gros calibre, sont pulvérisés. Le chef de bataillon Pégot et ses adjoints directs sont tués dans les premières minutes du combat, par un coup direct frappant leur abri. Les liaisons radio avec le centre du camp sont coupées, empêchant les défenseurs de Béatrice de régler correctement les tirs de l'artillerie française.

L'assaut du Viêt Minh est donné par les 141e et 209e régiments de la division 316qui s'élancent des tranchées réalisées à proximité du centre de résistance.

Sans officier pour les diriger, sans appui d'artillerie, les légionnaires, livrés à eux-mêmes, mènent un combat désespéré contre les fantassins viêt minh qui utilisent la technique de la vague humaine, certains n'hésitant pas à se faire sauter sur les barbelés pour permettre à leur camarades de passer derrière eux. Le centre de résistance tombe peu avant minuit, après plusieurs heures de combat au corps-à-corps.

Pour ajouter à la confusion dans les rangs français, au cours de la même nuit, le lieutenant-colonel Gaucher, chef de corps de la 13e DBLEet commandant du sous-secteur centre, est également tué dans son abri par un coup direct de l'artillerie viêt minh.

À l'issue de cette première nuit d'affrontement, les Français réalisent soudain que, contre toute attente, le Viêt Minh a été capable d'apporter et de camoufler autour du camp un nombre important de pièces d'artillerie de calibre 105 mm, alors que le 2e bureau de l'état-major français pensait qu'ils ne pourraient au pire amener que des pièces légères, de calibre 75 au plus. Jamais par la suite l'artillerie française ne sera dans cette bataille en mesure de faire taire les canons viêt minh, pas plus que les bombardiers de l'armée de l'air ni les chasseurs-bombardiers en piqué de l'aéronavale.

Constatant cet échec, le colonel Piroth, commandant l'ensemble des unités d'artillerie à DBP, qui avait affirmé au commandement être en mesure de contre-battre l'artillerie viêt minh avec ses canons de 155 mm, se suicide le 15 mars dans son abri.

Le 14 mars vers 20 heures, deux régiments de la division 308attaquent le centre de résistance Gabrielle, tenu par le 5e bataillon du 7e régiment de tirailleurs algériens (V/7e RTA) commandé par le chef de bataillon de Mecquenem. Utilisant la même tactique que pour Béatrice, forte préparation d'artillerie et assaut d'infanterie par vagues successives, le Viêt Minh grignote peu à peu la position. Les “Turcos”, surnom donné aux tirailleurs, se défendent durement toute la nuit et réussissent à repousser plusieurs assauts, incitant Giáp à ordonner le repli de la 308 à 2h30.

Quand l'attaque reprend à 3h30 après une nouvelle préparation d'artillerie, des troupes fraîches de la division 312 sont également engagées. Le V/7e RTA est submergé et doit finalement abandonner la position le 15 mars au petit matin, rejoint trop tard par un élément de contre-attaque constitué de 6 chars du 1er régiment de chasseurs à cheval, d'éléments du 1er BEPet du 5e BPVN parachuté en renfort dans l'après-midi du 14 mars.

À l'occasion de cette contre-attaque manquée, l'attitude au feu du 5e BPVN fera l'objet sur le moment de nombreuses critiques, certains, dont le lieutenant-colonel Langlais (adjoint de Castries), lui reprochant, en termes peu aimables, un « manque de punch » pendant l'action. Ce fut une des nombreuses polémiques qui surgirent au cours de la bataille et qui font parfois encore débat aujourd'hui parmi les spécialistes. À la décharge du 5e BPVN, d'autres, plus tard, feront valoir qu'il n'était pas forcément judicieux de confier une mission de contre-attaque à une unité qui, parachutée la veille, n'avait pas eu le temps de se reposer et connaissait mal le terrain, alors qu'un bataillon comme le 8e Choc, présent à DBP sans discontinuer depuis quatre mois, ayant eu le temps de se familiariser avec le terrain et reconnu les itinéraires de contre-attaque, aurait eu plus de chances de réussir. Quoi qu'il en soit, le chef de corps, le capitaine Botella, prit, à l'issue de l'engagement, des mesures drastiques en rétrogradant au rang de simple soldat des officiers qui avaient fait preuve de faiblesse et en transformant en coolies les soldats qui ne s'étaient pas correctement comportés à ses yeux. Ainsi « purgé », le 5e BPVN poursuivra le combat jusqu'à la fin de la bataille et se comportera de façon tout à fait honorable.

 
Une période d'accalmie du 15 au 30 mars
 

Ayant subi des pertes importantes au cours de ces deux premières attaques, le général Giáp est contraint d'observer une pause, pour réorganiser ses unités durement éprouvées et reconstituer ses stocks de munitions. Parallèlement, le Haut-Commandement français décide aussi l'envoi de renforts et le 6e BPC est parachuté dans l'après-midi du 16 mars. Le retour à DBP du « bataillon Bigeard » contribue à remonter le moral de la garnison, choquée par la tournure prise par les évènements.

Après une phase d'assaut frontal, très coûteuse en vies humaines, Giáp opte pour une tactique de harcèlement du camp retranché. Les artilleurs du Viêt Minh s'appliquent à bombarder tous les points importants du camp retranché, en particulier la piste d'atterrissage qui devient rapidement inutilisable de jour et bientôt aussi de nuit. Le dernier avion décolle de DBP le 27 mars. Dès lors, le cordon ombilical qui reliait le camp à Hanoï est coupé, réduisant d'autant les possibilités de ravitaillement et, surtout, rendant impossible l'évacuation des blessés. L'avion qui la transportait ayant été endommagé, puis détruit, par l'artillerie viêt minh, après s'être posé pour tenter d'évacuer des blessés, la convoyeuse de l'Air Geneviève de Galard se retrouve bloquée dans le camp retranché, où elle passera le reste de la bataille, à travailler comme infirmière à l'antenne chirurgicale du Médecin-Commandant Grauwin. Elle deviendra célèbre sous le nom d'« ange de Dien Bien Phu » (Dien Bien Phu angel) qui lui sera donné par la presse anglo-saxonne.

Des opérations sont montées tous les jours pour assurer la liaison terrestre avec le point d'appui Isabelle, situé au Sud du centre de résistance principal. Au fil du temps, ces opérations d'"ouverture de route" deviennent de plus en plus lourdes et dangereuses, et le 23 mars, au cours de l'une d'elles, le 1er BEP perd 9 hommes, dont 3 officiers (les lieutenants Lecocq, Raynaud et Bertrand) et plus de 20 blessés, dans une embuscade tendue par des éléments du Vietminh infiltrés. Devant les pertes subies, les liaisons quotidiennes avec Isabelle sont finalement abandonnées : ce point d'appui, commandé par le lieutenant-colonel Lalande, combattra jusqu'à la fin de la bataille de façon autonome.

Le 28 mars, le 6e BPC, appuyé par le 8e BPC lance une contre-attaque vers l'ouest du camp retranché avec pour objectif de détruire les pièces de DCA du Viêt Minh qui gênent de plus en plus le ravitaillement par air. L'opération est un demi-succès : à part des quantités importantes d'armement léger, elle n'a permis de capturer ou de détruire que peu d'armes lourdes (canons de DCA de 37 mm) et se solde par des pertes importantes. Le 6e BPC enregistre en particulier 17 tués, dont deux officiers (les lieutenants Le Vigouroux et Jacobs) et quatre sous-officiers. La 4e compagnie n'a plus d'officiers, puisqu'outre le Lt Jacobs, l'officier adjoint, tué au cours de l'action, son chef, le Lieutenant De Wilde, est grièvement blessé.

 
Seconde vague d'attaques du 30 mars au 4 avril (la « bataille des cinq collines »)
 

Giáp avait fixé comme objectif les collines formant la défense Nord-Est et Est du Centre de Résistance principal. Dans la nuit du 30 mars, après une nouvelle très forte préparation d'artillerie, tous les points d'appui tombent rapidement aux mains du Viet-Minh, à l'exception d’Éliane 2 (surnommée « la cinquième colline ») et d’Éliane 4, qui n'était pas directement en première ligne. La faible résistance opposée aux assaillants par le III/3e RTA sur Dominique 2 et par la compagnie du I/4e RTM tenant Éliane 1 sera d'ailleurs à l'origine d'une autre polémique, lancée elle aussi par l'impétueux lieutenant-colonel Langlais, mettant clairement en cause la valeur des troupes Nord Africaines à DBP. S'ajoutant à cela le fait que certains soldats de ces unités, démoralisés, déserteront et iront se réfugier sur les bords de la Nam Youm en refusant de livrer combat jusqu'à la fin de la bataille, le cours des événements finira par donner naissance au mythe selon lequel « seuls les paras et la Légion se sont battus à DBP ».

Sur Éliane 2, le Viet-Minh se heurte à la farouche résistance des autres compagnies du I/4e RTM, renforcées toute la nuit du 30 au 31 mars par différentes unités prélevées sur les autres bataillons et très efficacement soutenues par l'artillerie d’Isabelle. Au matin du 31 mars, Éliane 2, jonchée de dizaines de cadavres, tient toujours.

Le 31 mars, le Commandement français décide de lancer une contre-attaque pour reprendre les positions perdues : le 8e BPC reprend Dominique 2 (la colline la plus élevée du camp retranché) et le 6e BPC reprend Éliane 1. Toutefois, faute de troupes fraîches pour relever ces deux unités durement éprouvées (le parachutage du II/1er RCP a été annulé au dernier moment), les positions reprises doivent être de nouveau abandonnées.

Giáp poursuivra ses attaques sur Éliane 2 jusqu'au 4 avril, subissant de très fortes pertes, jusqu'à renoncer finalement à prendre ce point d'appui. Cet échec provoquera une grave crise du moral au sein des unités viet-minh, dont beaucoup des cadres, jugés incompétents ou trop timorés, seront éliminés.

 
Le « grignotage » des positions françaises durant le mois d'avril
 
Les actions d’encerclement et d’étouffement se poursuivent durant tout le mois d'avril, aussi bien sur les PA Huguette, à l’Ouest de la piste d’aviation, que sur les collines de l'Est.
 
Le centre des positions françaises fin mars 1954. Le secteur Éliane connut les plus violents combats de toute la bataille.
 

Les tentatives de colonnes de secours au sol échouent. Les avions venant de Hanoï (des bombardiers Douglas A-26 Invader, des chasseurs Grumman F8F Bearcat de l'armée de l'air et de la 11F de l'aéronavale alors équipée de Grumman F6F Hellcat, des transporteurs (largueurs de napalm) Fairchild C-119 Flying Boxcar (surnommés Packet), sont gênés de surcroît par une météo capricieuse (mousson). Ils peuvent difficilement identifier les emplacements de tir. Ils larguent les bombes et le napalm au mieux, sans radar et vaguement guidés seulement par radio. Les A-26 et les chasseurs font aussi des passages au-dessus des crêtes pour tirer avec leurs mitrailleuses de 12,7 mm et leur roquettes.

Un écran nuageux, quasi permanent en période de mousson, rend l'accès et l'action aériens difficiles, à vue (les radars de vol existaient peu ou presque pas). Dans ce contexte, les missions d'attaque des avions français sont dangereuses du fait du terrain, du climat et surtout de la DCA. Ces avions doivent faire plus de 600 km avant d'arriver sur zone : ils sont alors à la limite de leur réserve de carburant et ont par conséquent très peu de temps pour leur mission de combat. D'ailleurs, les assauts viêt minh ont essentiellement lieu de nuit, lorsque l'aviation française est moins efficace.

Les Français disposent de 10 chars légers M24 Chaffee armés de canons de 75 mm, relativement inadaptés à une guerre de siège, souvent utilisés pour soutenir l'infanterie lors de contre-attaques. Certains sont finalement sabotés par leur équipage, sur avarie ou pour éviter leur capture par l'ennemi. La garnison ne peut compter que sur des contre-attaques de parachutistes à pied, leur mission est de s'emparer des positions adverses et des canons, armés de lance-flammes. Mais ces contre-attaques ne peuvent dépasser la ligne des sommets et sont limitées dans le temps par l’impossibilité de les ravitailler et de les soutenir d’un appui–feu. Lorsqu'un point d'appui est atteint, les soldats se trouvent parfois à court de munitions. C'est donc une mêlée à l'arme blanche et à la grenade qui les attend.

Dans cette bataille, dans l'incapacité de se reposer ni d'être relevés, les Français font preuve d'une combativité et d'une résistance exceptionnelles. Il y a de nombreux cas de morts d'épuisement. On entend des hommes se battre en chantant La Marseillaise au cours des combats. Lorsqu'on sollicite les blessés pour retourner au combat - faute de combattants valides -, il y a encore des volontaires. La nuit, les explosions, les balles traçantes et les fusées éclairent le champ de bataille comme en plein jour. Les canons français tirent tellement qu'ils sont chauffés au rouge. Parmi les actes les plus notables, citons le combat de dix soldats du 6e BPC qui résistent sans soutien aux assauts Viêt Minh pendant huit jours. Au moment de déposer les armes, ils tiennent toujours leur position. Il y eut deux survivants, les brigadiers Coudurier et Logier.

Concernant la logistique, l'aviation française a du mal à faire face à l'ampleur de la tâche et doit recourir à des avions Fairchild-Packet C-119 (« Flying Boxcar ») fournis par l'US Air Force (en vertu d'accords d'assistance militaire), pilotés par des équipages militaires français et aussi par des équipages de mercenaires américains du CAT (Civil Air Transport) du général Claire Chennault. Le CAT (qui deviendra plus tard Air America) est en fait la Flying Tigers Line, une compagnie aérienne proche de la CIA et dirigée par Chennault, l'ancien « boss » des Tigres volants. Plusieurs C-119 seront touchés par la DCA au-dessus de DBP et c'est là que les Américains connaîtront leurs premières pertes dans la péninsule indochinoise, avec la mort des deux pilotes (James McGovern et Wallace Bufford) d'un équipage mixte franco-américain, alors qu'ils essayaient de poser leur C-119 en catastrophe, après avoir été touchés par la DCA lors de leur opération de largage. Ainsi, les États-Unis n'interviendront jamais directement dans le conflit, pour ne pas provoquer l'intervention directe de la Chine et une escalade du conflit, se contentant de fournir une logistique aérienne et des mercenaires aux Français.

Le général Giáp donne son analyse des combats : les militaires français, « selon leur logique formelle, avaient raison ». « Nous étions si loin de nos bases, à 500 kilomètres, 600 kilomètres. Ils étaient persuadés, forts de l’expérience des batailles précédentes, que nous ne pouvions pas ravitailler une armée sur un champ de bataille au-delà de 100 kilomètres et seulement pendant 20 jours. Or, nous avons ouvert des pistes, mobilisé 260 000 porteurs — nos pieds sont en fer, disaient-ils —, des milliers utilisant des vélos fabriqués à Saint-Étienne que nous avions bricolés pour pouvoir porter des charges de 250 kg. Pour l’état-major français, il était impossible que nous puissions hisser de l’artillerie sur les hauteurs dominant la cuvette de Diên Biên Phu et tirer à vue. Or, nous avons démonté les canons pour les transporter pièce par pièce dans des caches creusées à flanc de montagne et à l’insu de l’ennemi. Navarre avait relevé que nous n’avions jamais combattu en plein jour et en rase campagne. Il avait raison. Mais nous avons creusé 45 km de tranchées et 450 km de sapes de communications qui, jour après jour, ont grignoté les mamelons. »

En manque de troupes, les Français organisent des recrutements de volontaires à Hanoï pour les parachuter sur Diên Biên Phu. Alors que tout le monde sait la situation désespérée et la chute du camp imminente, des centaines de personnes répondent « présent » à l'appel, certaines n'ayant jamais sauté en parachute de leur vie. Leur motivation est d'aller se battre « pour aider les copains », « pour l'honneur ». Dans la fureur des combats, et la confusion, certains largages atterrissent chez l'ennemi.

Les défenseurs du camp ont jusqu'au bout espéré une intervention massive de l'aviation américaine, qui n'est jamais venue. Début mai 1954, les Viêts utilisent massivement des lance-roquettes multiples Katioucha (ou « orgues de Staline ») sur la garnison, dont les effets sont dévastateurs.

 
L'assaut final à partir du 1er mai et la chute
 

La surface du camp ayant considérablement diminué au cours du mois d'avril, une part de plus en plus importante du ravitaillement parachuté tombe au-delà des lignes, chez l’ennemi. Du côté français, le manque de munitions devient très préoccupant, en particulier pour l'artillerie, et la situation sanitaire tourne à la catastrophe, avec des centaines de blessés entassés dans les différents postes de secours. L'assaut final est lancé le 1er mai au soir, précédé d'une préparation d’artillerie extrêmement intense qui dure trois heures. Les divisions 312 et 316 attaquent la face est du camp retranché, la 308 la face ouest. L’artillerie et l'infanterie françaises n’ont plus les moyens ni les effectifs suffisants pour faire face à cet assaut massif et généralisé. Éliane 1, tombe dans la nuit du 1er et seuls quelques éléments du II/1er RCP, l'unité qui tenait la position, parviennent à s'en échapper vivants. Dominique 3 et Huguette 5 tombent à leur tour dans la nuit du 2.

Le Commandement des forces françaises en Indochine décide alors de lancer dans la bataille un dernier bataillon parachutiste en renfort, pour l'honneur. Le 1er BPC du commandant de Bazin de Bezons est parachuté de façon fractionnée au début du mois de mai : la 2e compagnie du lieutenant Edme saute dans la nuit du 2 au 3 mai, la 3e du capitaine Pouget (aide de camp du général Navarre) dans la nuit du 3 et une partie de la 4e compagnie du capitaine Tréhiou dans la nuit du 4. Le reliquat des trois premières compagnies ayant déjà sauté, soit 91 hommes, est largué dans la nuit du 5 mai. Ce seront les derniers renforts parachutés sur le camp retranché. Le largage de la 1re compagnie du lieutenant Faussurier, prévu dans la nuit du 6, est annulé, alors que les avions sont déjà au-dessus du camp, l'état-major de Diên Biên Phu ayant préféré donner la priorité à une mission de largage de fusées éclairantes ‘lucioles’, pour soutenir les combattants au sol qui se battent partout au corps-à-corps.

Huguette 4 tombe dans la nuit du 4 mai. Éliane 2 résiste toujours, mais dans la nuit du 6 mai, une charge de deux tonnes de TNT, placée dans une sape creusée sous la colline fait sauter Éliane 2 tenue par la compagnie du capitaine Pouget. Le matin du 7 mai, Éliane 10, Éliane 4 et Éliane 3 sont conquis par les Viêt Minh qui tiennent désormais tous les points d'appui sur la rive est de la Nam Youm.

Après avoir abandonné l'idée de percer les lignes viets pour sortir du camp, faute d'effectifs suffisants pour avoir une quelconque chance de réussite, le général de Castries reçoit l'ordre de cesser le feu, au cours d'une dernière conversation radio qu'il a avec son supérieur, le général Cogny, basé à Hanoï. L'ordre est transmis aux troupes de détruire tout le matériel et l'armement encore en état. Pour l'anecdote, le lieutenant-colonel Bigeard, doit envoyer un mot griffonné sur une feuille de papier au lieutenant Allaire, commandant la section de mortiers du 6e BPC, qui refuse de cesser le combat sans un ordre écrit.

Il appartenait à la division 308 du général Vuong Thua Vu, division d'infanterie qui avait été de toutes les batailles en haute et moyenne région, des « désastres » de Cao Bang et Lang Son en 1950 jusqu'à celui de Diên Biên Phu, de donner le coup de grâce. Constatant l'absence de réaction des Français lors des préparatifs de la nouvelle attaque prévue pour la nuit, les Viets investissent l'ensemble du camp retranché. Après 57 jours et 57 nuits de combat quasi ininterrompus, le camp retranché de Dien Bien Phu tombe, le 7 mai 1954 à 17h30. Cette même division 308 sera également la première unité Vietminh à entrer dans Hanoï le 9 octobre 1954.