La nuit se passa sans incidents.
Au petit jour, le 21 août, nos reconnaissances de cavalerie ne tardèrent pas à rentrer, annonçant l'approche de l'ennemi.
En effet, des cavaliers parurent, suivis de cyclistes et de fantassins. Ils furent facilement arrêtés à Tamines et à Charleroi ; des prisonniers restèrent entre nos mains, qui appartenaient à la cavalerie de la Garde et aux hussards de la reine Wilhelmine.
Mais, à Auvelais et Pont-de-Loup, l'attaque se développait rapidement, et l'artillerie entrait en action. D'une rive à l'autre de la Sambre, la fusillade crépitait.
Le 3e bataillon du 70e régiment d'infanterie descendait d'Arsimont pour renforcer le 2e bataillon à Taurines et à Auvelais.
Nous subissions des pertes, car l'ennemi avait l'avantage du tir plongeant, les hauteurs de la Sarte dominant notre rive d'une trentaine de mètres. Les abords du pont d'Auvelais devenaient intenables sous le feu de l'artillerie allemande.
Le colonel Laroque, commandant le 70e régiment d'infanterie, décida d'évacuer le village et de reporter la défense sur les hauteurs d'Arsinnont.
Le feu de nos compagnies, retranchées à mi-pente d'Arsimont, empêcha les Allemands de déboucher du village.
Mais la perte du pont d'Auvelais avait eu pour conséquence immédiate la perte de l'écluse et de la passerelle du charbonnage en aval, et la perte du pont de Tamines en amont. Les fractions du 70e régiment d'infanterie, qui défendaient ces positions, se replièrent par ordre, sans combat.
A 17 heures, l'ennemi occupait la fosse N° 2, au nord-ouest d'Auvelais, ainsi que les maisons aux abords du pont de Tamines.
Dés 16 heures, le général Bonnier avait décidé de contre-attaquer, pour rejeter les Allemands au-delà de la Sambre. Il avait envoyé l'ordre au 71e régiment d'infanterie de se porter eu hâte sur Arsimont, et au 48e régiment d'infanterie de se tenir prêt à appuyer l'attaque vers Cortil-Mozet. Le 1e bataillon du 70e était déjà accouru afin de soutenir, à Arsimont, les compagnies retirées de Tamines et d'Auvelais.
L'accablante chaleur était tombée, mais le soleil illuminait encore la vallée. La pente, par un long glacis, descendait vers Auvelais. Sur l'ordre du général, tous nos fantassins mirent baïonnette au canon. Le drapeau déployé, les clairons sonnant la charge, toute la ligne s'ébranla en avant, Alors un violent feu de mitrailleuses balaya le glacis. Beaucoup des nôtres tombèrent. Nous dûmes progresser par bonds successifs, mais l'élan ne fut pas ralenti. Nos troupes atteignaient les premières maisons d'Auvelais et le deuxième charbonnage quand une contre-attaque ennemie menaça notre flanc.
Les unités mélangées du 70e et du 71e refluèrent sur Arsimont, suivies par l'adversaire, qui marquait son avance par des incendies.
Le 3e bataillon du 48e régiment d'infanterie se sacrifia pour interdire aux Allemands les lisières d'Artimont durant toute la nuit.
Cependant le général Bonnier avait lancé l'ordre de repli sur Cortil-Mozet et sur Aisemont.
Dans la vallée, l'ennemi célébrait bruyamment une victoire qu'il n'eût sans doute pas remportée si le général Rogerie avait eu quelques batteries de plus à sa disposition. Sur la droite, en effet, le 1e bataillon du 41e régiment d'infanterie avait repoussé, dans la boucle de Ham, toutes les attaques allemandes.
Mais il reçut l'ordre de se replier à son tour, ainsi que les compagnies du 2e bataillon du 71e régiment d'infanterie qui tenaient le village et la station de Falisolle.
Des secours furent demandés en hâte à la 20e division, qui envoya le 1e bataillon du 2e régiment d'infanterie à Aisemont.
Sur le front du 3e corps d'Armée, la situation était à peu prés aussi critique. Un bataillon du 74e régiment d'infanterie et un bataillon du 39e régiment d'infanterie gardaient, à la 5e division, tous les ponts sur la Sambre, de Tamines à Charleroi. Le Commandement semblait avoir compris l'impossibilité de tenir les ponts avec des gros effectifs et d'organiser la défense dans les fonds de la Sambre.
Il avait prévu différents centres de résistance en arrière, vers Aiseau, le bois au nord de la cote 172, la cote 170, Bouffioulx, la crête au nord de Chamborgneau, les crêtes du Châtelet, celles de Pontde-Loup, et celles de Roselies et de Tergnée sur Aiseau.
Tandis que les alertes se multipliaient devant Châtelet et Charleroi, l'attaque allemande se précisait vers 15 heures en direction de Pont-de Loup. Les compagnies du 39e régiment d'infanterie et une- section de mitrailleuses tenaient l'adversaire en respect. Malheureusement Tamines était tombé. Les Allemands montant d'Oignies sur Menory nous attaquaient à revers. Roselies fut rapidement cerné par eux. La situation semblait à tous perdue.
Des éléments du 2e bataillon du 74e régiment d'infanterie résistaient toujours dans Aiseau. Ils furent rejoints à minuit par les 1e et 3e bataillons, qui reçurent l'ordre d'avancer sur Roselies. Nos troupes arrivèrent dans le village sans tirer un coup de feu. Mais les Allemands se ressaisirent. Un violent combat de rues s'engagea, la fusillade fit rage. Le général Verrier envoya au secours du 74e les 1e et 3e bataillons du 129e régiment d'infanterie et le 2e bataillon du 36e.
Alors que la 5e division se trouvait ainsi aux trois quarts engagée et subissait des pertes graves, la 6e division, à sa gauche, restait encore intacte.
Vers 11 heures, le commandant du 3e corps était venu de Nalinnes, et avait prescrit au général Bloch de rassembler sa division par brigades successives. La 12e brigade se trouvait en avant : le 119e régiment d'infanterie était réparti en partie sur la Sambre, en partie à Loverval, et le 5e régiment d'infanterie avait été dirigé sur Haies et Bultia. La 11e brigade allait, à son tour, se rapprocher, quand, vers 16 heures, le général Bloch reçut l'ordre de diriger immédiatement ses deux régiments: les 24e et 28e sur Fontaine-Lévêque, où ils se tiendraient à la disposition du général Sordet.
En effet, le corps de cavalerie s'était retiré la veille derrière le canal de Mons à Charleroi.
Mais le 21, vers 10 heures, Pont-à-Celles, sur le Canal, était attaqué, en même temps que les villages de Liberchies et de Luttre. Vers 15 heures, nous nous retirions des ponts. Mais la 5e division de cavalerie tenait encore les plateaux à l'est de Gouy-le-Piéton, et l'ennemi ne semblait pas faire un gros effort pour les lui disputer. D'autre part, au sud, la 1e division de cavalerie avait dû évacuer Gosselies ; cependant, elle tenait encore le pont de Motte. sur le canal. Le général Sordet ayant alors réclamé un soutien d'infanterie, la 11e brigade lui avait été envoyée.
Plus au sud, le 18e corps d'Armée, débarqué le 19 août dans la région d'Avesnes, s'était avancé le 21 jusqu'à Thuin. Mais il n'avait là qu'une avant-garde : la 35e division était encore échelonnée de Beaumont à Hestrud. Elle ne pouvait entrer en action que dans la journée du 22.
En outre, les divisions de réserve venaient seulement de quitter Vervins.
Plus à l'ouest, l'Armée anglaise ne se trouvait encore que dans la région de Landrecies.
Des trois divisions territoriales, commandées par le général d'Amade, seules les 81e et 82e étaient en position sur la ligne avancée du barrage Maubeuge-Valeneiennes-Tournai-Lille. Le général Herment était nommé gouverneur de cette dernière place, sur les instances du général d'Amade.
En résumé, dans la journée du 21 août, deux corps seulement de la 5e Armée avaient été engagés : les 3e et 10e C. A. Mais si deux divisions (20e et 6e) étaient encore intactes, les deux autres avaient déjà subi des pertes sérieuses : la division Bonnier ne possédait guère que deux bataillons frais, et il en restait au plus trois à la 5e division. Heureusement, chacun des deux corps d'Armée gardait en réserve une division d'Afrique: la 37e D. I. au 10e C. A. et la 38e D. I. au 3e C. A. Les pertes pouvaient donc être compensées et la situation rétablie.
Les ordres de l'Armée, envoyés le 22 aux différents corps pour la journée du 23, prévoyaient qu'on se tiendrait prêt à franchir la Sambre.
En conséquence, les corps d'Armée feraient serrer sur leurs têtes ; le 10e corps organiserait la position Fosse-Vitrival-Sart-Eustach; le 3ecorps occuperait une position lui permettant de s'opposer au débouché de l'adversaire, soit par Charleroi, soit par Châtelet; le 18e corps (12e régiment d'infanterie) tiendrait la position Thuin-Gozée-Ham-sur-Heure. Les ponts ne seraient gardés que par des postes ayant seulement mission d'arrêter les incursions de cavalerie : ils ne seraient solidement occupés qu'au moment de l'offensive.
Le général Lanrezac ignorait alors qu'il n'était (hélas!) plus question de tenir les ponts. Les renseignements arrivaient mal ou n'arrivaient pas à son Quartier Général.
Faute d'ordres précis, les divisions allaient s'user avec des contre-attaques stériles. |
Dés l'aube, un épais brouillard traînait sur la vallée. Du côté de Roselies, la fusillade s'était tue; mais, vers l'est, on entendait distinctement le canon de Namur. Cette place était ,en effet, bombardée par l'ennemi sans interruption. Le général Lanrezac avait envoyé à son secours trois bataillons de la 8e brigade (deux du 45e régiment d'infanterie, un du 48e, sous les ordres du lieutenant-colonel Grumbach.
Rien ne faisait encore prévoir la retraite. Cependant, comme les Allemands s'étaient emparés, à 16 heures, du château de Bouloye, le 148e régiment d'infanterie reçut l'ordre de reprendre la position. Il réussit dans son entreprise ; mais écrasé par l'artillerie lourde, le 148e dut enfin reculer. A sa droite et à sa gauche, toutes nos troupes s'étaient repliées.
Le 1e corps d'Armée n'avait engagé sur la Meuse que la moitié de ses effectifs. Il avait donc pu, le 21 au soir, diriger la 2e brigade de la 1e division avec un groupe d'artillerie, sur Sart-Saint Laurent, afin d'organiser la défense sur ce point, et de garder les ponts de Floreffe et de Floriffoux.
L'ennemi multipliait ses patrouilles et ses reconnaissances.
A 4 heures, l'ordre fut donné de faire sauter tous les ponts sur la Meuse, sauf ceux de Givet, d'Hastiéres et de Dinant
Vers 5 heures, furent alors coupés les ponts d'Anseremme, de Houx, d'Yvoir, de Rouillon et de Burnot.
Tandis que le 1e corps était en partie immobilisé sur la Meuse, les 10e et 3e corps d'Armée soutenaient sur la Sambre un violent combat.
Dés 6h30, le colonel du 48e régiment d'infanterie avait reçu l'ordre de reprendre Arsimont, afin de rejeter ensuite l'adversaire au delà de la rivière. Un bataillon du 41e régiment d'infanterie et les 1e et 2e bataillons du 48e devaient mener l'attaque, en attendant l'entrée en ligne de la 37 division. Le village fut rapidement enlevé par le 2e bataillon du 41e, qui gagna la lisière nord.
Le 1e bataillon du 48e avait franchi la cote 190 et atteint le ravin de Ham, soutenu à sa droite par le 2e bataillon du même régiment, quand tout à coup les mitrailleuses ennemies entrèrent en action. En même temps, les obusiers allemands concentrèrent leurs feux sur les boqueteaux où nos troupes se dissimulaient :
Le colonel de Flotte, le commandant du 2e bataillon et deux capitaines furent mortellement atteints. Nos pertes devenaient rapidement sérieuses. Le général Bonnier dépêcha le 3e bataillon du 41e sur le charbonnage d'En-Haut, à l'entrée de Ham. IL lançait en même temps le 2e zouaves sur Auvelais.
Les zouaves rejoignirent les fractions fort éprouvées du 48e régiment d'infanterie, et les entraînèrent au pas de charge
Les Allemands, abrités dans leurs tranchées et derrière les murs de l'usine, sur lesquels flottait le drapeau de Genève, dirigèrent sur nous un feu meurtrier.
Leur artillerie, qui n'était pas contrebattue, entra en action. Les zouaves firent des prodiges.
Le lieutenant-colonel Trouselle tomba à leur tête. Les hommes se ruaient avec frénésie dans le charbonnage. Mais, écrasés par le nombre, ils succombèrent. Notre attaque était brisée. Sur la gauche, pourtant, les sections du 41e avaient réussi à dépasser Arsimont ; rejointes par des éléments du 2e régiment d'infanterie, elles avaient bousculé l'ennemi jusqu'à l'embranchement de la route de Falisolle. Les Allemands ne se maintenaient, grâce à leurs mitrailleuses, que dans la boucle d' Auvelais.
Le général Bonnier appela alors à son aide le 1e C. A., dont la 2e brigade occupait Sart Saint-Laurent. Mais le général Franchet d'Espérey paraissait peu désireux d'engager ses forces, et, vers midi, le général Defforges donnait l'ordre d'arrêter le combat.
Dés lors, l'attaque n'étant plus alimentée, la retraite commença par petits groupes. Les sections se dégagèrent tant bien que mal, homme par homme, sous le feu des mitrailleuses et de l'artillerie. Le général Rogerie fit des prodiges pour contenir la retraite et organiser la défense dans le secteur à l'est d'Arsimont.
Mais à 15h30, le général Defforges lançait l'ordre de repli : la 37e division rétrogradait d'abord sur la région Pontaury Saint Gérard, puis sur la ligne générale Maison devant les bois.
L'ennemi ne tenta aucune attaque, impressionné sans doute par la fougue de nos assauts et l'étendue de ses propres pertes. Il avança derrière nous avec la plus extrême prudence.
Cette journée nous coûtait quinze cents hommes et trente‑trois officiers, dont deux colonels. L'échec fut vivement ressenti par les troupes épuisées.
A gauche de la 19e division, la 20e devait attaquer en direction de Lotria-Taurines. Le 2e régiment d'infanterie, à l'est du ruisseau de Falisolle, reliait les deux divisions. Il avait coopéré à l'action sur Arsimont, et, après avoir chassé l'adversaire du Gay d'Arsimont, était resté accroché devant les bois qui se trouvent à l'est de Falisolle.
La 20e division devait franchir, à 3h30, la ligne Alseau-Aisemont. Quand sa 39e brigade (général Ménissier) voulut déboucher, elle fut accueillie par de violents feux de mousqueterie et d'artillerie. Nos batteries tiraient mal, par suite du brouillard.
Néanmoins les 25e et 136e régiments d'infanterie, parvenaient à se maintenir sur le front Falisolle-lisière nord des bois de l'Estache, et progressaient même en direction d'Oignies.
Le 1e bataillon du 47e était rentré dans Falisolle en suivant la vallée. Mais, les deux autres bataillons du 47e ne pouvaient déboucher des bois situés à l'ouest de la position.
Sur la gauche, le 25e, qui abordait enfin Menory, était soudain contraint de reculer par suite de l'abandon de Roselies par le 3e corps d'Armée.
Le repli s'effectua pourtant en bon ordre.
Le 47e régiment d'infanterie s'établit à hauteur de la ferme Lotria, où le 10e régiment d'artillerie de campagne était en batterie.
Après une accalmie de deux heures, les artilleurs allemands bombardèrent nos positions. Les fantassins gris-vert sortirent des bois. Nos canons les contraignirent à rentrer sous le couvert.
Le général Boë grièvement blessé, laissé pour mort, (Il a été fait prisonnier, soigné par les Allemands et a survécu à ses blessures), le commandement de notre 20e division passa aux mains du général Ménissier.
Le colonel de Cadoudal prenant la tête de la 39e brigade.
Vers 15 heures, la position devenait intenable. Notre artillerie était à bout de munitions, et les obus allemands éclataient partout sans interruption.
La retraite fut décidée, d'abord sur la ligne Cocriamont-Sart-Eustache, puis sur la ligne Nowechamps-Devant-les-Bois. Une section de mitrailleuses se sacrifia pour arrêter l'adversaire
Le 3e corps
subissait, de son côté, pareil échec. Nous avions malheureusement abandonné Châtelet et Pas‑de‑Loup sans résistance. Au point du jour, deux bataillons du 129e régiment d'infanterie, soutenus en seconde ligne par le 2e bataillon du 36e, avaient rejoint devant Roselies le 74e régiment d'infanterie.
Tous nos efforts se brisèrent sur la lisière sud-est du village.
Vers 11h30, le colonel Schmitz faisait appeler la musique et déployer le drapeau, pour tenter une charge suprême. Mais, à ce moment, une contre-attaque allemande débouchait sur la droite et nous prenait de flanc. Il nous fallut reculer devant le nombre. Nos troupes furent splendides d'héroïsme. Le 74e laissa 1100 hommes sur le terrain. Mais nous dûmes nous replier par Aiseau sur Presles et sur Binche.
Profitant de son avantage, l'ennemi s'élançait en forces sur Bouffiot qu'il enlevait rapidement. Le 39e régiment d'infanterie devait se replier, d'une part à travers le bois des Sarts jusqu'à la Figotterie, d'autre part en direction de Joncret
Notre artillerie abandonnait en hâte ses positions. Le commandant de la 5e division réclamait sans cesse du secours. La 75e brigade (général Schwartz) arriva en hâte à la Figotterie pour tenter de reprendre Châtelet.
Le 1e tirailleurs et le 1e zouaves s'élancèrent à l'assaut. Héroïquement, ils traversèrent les barrages d'artillerie. Sur la crête, la première ligne allemande fut enlevée.
Mais aussi tôt les mitrailleuses claquèrent. Tranchées et boquetaux furent le théâtre de sanglants corps à corps. Le drapeau passa de mains en mains.
Trente et un officiers et plus de mille hommes tombèrent dans cette lutte sans merci. Des groupes nouveaux s'élançaient continuellement à la charge. Inutile effort!
A 13 heures tout espoir était perdu.
Avec les débris d'unités qu'il put réunir, le Commandement essaya de constituer une ligne de défense à hauteur de Villers-Poterie. L'infanterie allemande ne tentait pas la poursuite, mais les obus ennemis causaient des ravages dans nos rangs. Il fallut se résigner à la retraite.
Elle s'opéra sur la position défensive organisée parla 76e brigade, au nord de Somzée, vers Tarcienne et Limsoury. Les troupes bivouaquèrent sur place, dans une consternation indicible.
Du côté de la 6e division, nous avions, dés le matin, perdu le pont de Marchienne.
Tous les passages de Charleroi furent bientôt évacués par nos troupes. Le général Bloch avait reçu l'ordre de porter toutes ses réserves à droite, où le 3e corps d'Armée devait préciser son effort. Or, l'ennemi débouchait de Châtelet. Toutes les troupes disponibles de la 5e division étant appelées à la contre-attaque, le général Bloch dirigea ses réserves sur Try-D'Haie et Bultia. Elles comprenaient six compagnies du 5e régiment d'infanterie, un bataillon du 239e et six compagnies du 119e. On apprit alors l'abandon de Loverval et l'échec de la contre-attaque.
Violemment attaqué à son tour, le front de la 6e division ne pouvait plus tenir devant un ennemi supérieur en nombre. Les réserves, rappelées en hâte à Sainte-Barbe, n'arrivaient pas. Tandis que le général Lavisse les cherchait à Bultia, il apprenait qu'elles avaient été lancées sur Chamborqueau et Bouffioulx, afin de dégager la 5e division. Il les voyait bientôt refluer en désordre, débordées par l'ennemi. Elles se repliaient bientôt sur Thy-1e- Château.
A 18 heures, le général Bloch rétrogradait, par ordre du corps d'Armée, en direction de Nalinnes.
La bataille se propageait ainsi d'est en ouest.
Au corps de cavalerie Sordet, les batteries de la 5e division de cavalerie étaient impuissantes à soutenir les fantassins du 24e régiment d'infanterie, pris à partie par des masses allemandes. Le général Hollender (11e brigade) faisait des prodiges pour tenir à tout prix. Il y eut dans les vergers de Trieux des corps-â-corps sans cesse renouvelés.
Des renforts allemands arrivaient toujours. Nous étions menacés d'enveloppement. Nos unités se replièrent, par ordre, dans un calme impressionnant. Depuis 36 heures, les hommes n'avaient ni mangé, ni dormi. Leurs chefs tombés, ils ne songèrent pas à fuir. Ils se retirèrent en bon ordre après cette lutte ardente.
Les 24e et 28e régiments d'infanterie avaient bien mérité de la Patrie.
Le corps de cavalerie Sordet avait appuyé à l'ouest pour permettre le déploiement du 18e corps, qui devait entrer en ligne à la gauche du 3e C.A. Le 18e corps tenait les ponts, de Landelies à Thuin. La 7e brigade de la 36e division était en liaison avec la 6e division à Ham-sur-Heure, et son chef, le général Schiellemans, n'eût pas demandé mieux que de répondre à l'appel du général Sauret, en intervenant sur le flanc droit de l'ennemi.
Mais le commandant de la 36e division .estimait que son maintien sur la Sambre était une garantie pour le 3e corps, et que son artillerie prêtait un appui suffisamment efficace en tenant sous son feu Tamioulx et Nalinnes.
Cependant, à 18 heures, le commandant du 18e corps, sur l'ordre du général Lanrezac, mettait
la 69e brigade à la disposition du général Sauret.
A gauche du 18e corps, les 53e et 69e divisions de réserve arrivaient à leur tour sur la Sambre, entre Jeumont et Montignies.
Au delà, c'était Maubeuge, à peine dépassé par l'Armée anglaise. A Tournai, deux compagnies du territorial tiraient déjà sur les cavaliers allemands.
Ainsi, de part et d'autre, de nouvelles forces étaient entrées en ligne dans la journée du 22,qui n'avaient pas encore combattu.
De notre côté, les 10e et 3e corps d'Armée, représentant six divisions, avaient seuls été véritablement engagés. L'ennemi n'avait encore fait donner que la Garde à Auvelais, son Xe corps actif à Taurines et à Farciennes, et son Xe corps de réserve à Montignies et à Charleroi.
Nos pertes étaient malheureusement sérieuses, et nous ignorions celles de l'adversaire. Celles de nos unités qui avaient perdu un quart ou un tiers de leur effectif n'étaient plus en état d'entrer en action. D'autre part nous avions reculé de dix kilomètres, et l'enfoncement du 3e corps paraissait inévitable.
Il nous restait bien deux corps intacts : le 1e C. A. à droite, et le 18e C. A. à gauche, et les Anglais allaient avoir deux divisions à pied d’œuvre Mais quels nouveaux effectifs l'ennemi ne jetterait-il pas dans la lutte ? Des fractions du IIIe corps allemand n'étaient-elles pas apparues à Anderlues?
Quelles autres divisions, par le nord, pouvaient tomber sur l'Armée anglaise et submerger nos unités territoriales?
Nous devions secourir la 51e division de réserve.
Précisément, le général Mangin se trouvait à Denée avec un bataillon du 45e régiment d'infanterie et un bataillon du 148e. Le général Mangin reçut l'ordre de se diriger hâtivement sur Anthée, afin d'aider le général Boutegourd à rétablir la situation. En même temps, la brigade de cavalerie du 10e corps était lancée en éclaireur vers Hastiéres et Dînant, Le colonel Pétain accourait vers Denée pour couvrir le repli de la 2e division sur la ligne Flavion-Anthée, la 1e division devant prolonger notre ligne sur les hauteurs au nord d'Ermeton.
La 111e Armée allemande de von Hausen entrait en action. Le général Boutegourd, après une héroïque résistance, avait bien fait sauter le pont d'Hastières. Mais l'ennemi avait franchi la rivière à quelques kilomètres en aval, vers Waulsort, où nos troupes, trop faibles, avaient été écrasées. L'artillerie allemande nous couvrait de projectiles. Les 233e et 243e régiments d'infanterie ne réussissaient pas à contenir l'adversaire qui s'emparait d'Onhay; nos unités refluaient en désordre.
Cependant l'ennemi n'avait encore fait franchir la Meuse, en deux points, qu’à quelques bataillons.
A Anseremme, nos feux de mousqueterie brisaient son élan.
A Dinant, les 17e et 20e compagnies du 273e tenaient bon.
A Yvoir et à Jovienne, nous ne nous laissions pas entamer.
Lorsque nous nous repliâmes par ordre, les Saxons de von Hausen, furieux de la résistance rencontrée, accusèrent la population civile de nous avoir prêté son aide, et se livrérent à d'effroyables massacres.
Au 1e corps d'Armée, notre 1e brigade (127e et 43e régiments d'infanterie), serrée de prés par l'infanterie allemande, qui débouchait des bois au nord de la ferme Héreude, réussissait à se dégager et prenait en bon ordre, et sans pertes excessives, le chemin de Bioul, la 2r brigade ayant mission de contenir l'ennemi. Notre 3e brigade se repliait à gauche, sous la protection du détachement Pétain. Les Allemands ne progressaient qu'avec une lenteur circonspecte. Notre retraite s'échelonnait jusqu'à Flavion et Morville.
En face du 10e corps, l'infanterie allemande reprenait l'attaque vers 14 heures.
Au centre et à droite, une brillante contre-attaque du 2e tirailleurs et le tir précis de nos canons, arrêtaient les vagues ennemies. Mais, sur la gauche, l'adversaire s'infiltrait en direction de Biesine et menaçait de déborder Wagnée. Deux bataillons du 2e tirailleurs accoururent vainement en renfort de la 74e brigade. Les obus ennemis faisaient des ravages dans nos rangs. Le général Comby ne cessait de réclamer l'appui de la 20e division, repliée depuis midi sur la hauteur de la ferme du Bois-le-Couvert. A 17 h. 30, la 20e division portait sa 39e brigade (25e et 136e régiments d'infanterie) à l'ouest d'Oret, et le 2e régiment d'infanterie à l'est de ce village. Ces renforts abordèrent l'ennemi à la baïonnette. Mais tirailleurs et fantassins durent, en fin de journée, se replier jusqu'aux Bruyères, après avoir subi des pertes cruelles.
Devant nous, Saint-Gérard et la ferme de Montigny brûlaient comme des torches. |
Le 3e corps avait été trop durement éprouvé le 22 août pour qu'il pût songer à reprendre l'offensive. Son chef voulait seulement « durer » jusqu'au lendemain, pour permettre aux autres corps de développer leurs opérations.
A droite, à la 5e division, la 10e brigade (36e et 129e régiments d'infanterie) organisait défensivement le village de Florennes, où nous devions tenir coûte que coûte. De son côté, le 39e régiment d'infanterie (5e brigade) organisait la défense de Thy-le-Bauduin. Depuis la veille, le 4e tirailleurs, détaché de la 38e division, tenait des positions entre Hanzinne et Hanzinelle et sur la cote 271. Les autres éléments disponibles de la 5e division étaient placés sous les ordres du commandant de la 38e D.I., qui leur demandait d'empêcher que sa droite ne fût débordée.
A gauche de la 5e division, la 38e avait déployé la 76e brigade sur le front Limsoury-Tarsienne. La 75e brigade, trop éprouvée, se reconstituait à Yves-Uomezée.
L'artillerie allemande se montra particulièrement active dans ce secteur, mais l'attaque prévue se déclencha sur le front de la 6e division.
Le général Bloch devait assurer, en effet, avec une seule brigade, la défense de cinq kilomètres de terrain, entre Claquedent et Praile, ses autres troupes restant à la disposition du 18e corps d'Armée. Notre réaction fut d'abord heureuse. Un bataillon du 5e régiment d'infanterie et un bataillon du 8e tirailleurs arrêtèrent l'ennemi qui débouchait du bois de Praile. Mais l'adversaire multipliait ses tentatives.
Le 119e régiment d'infanterie fut violemment pris à partie à la lisière des bois de Braconval; le 239e fut jeté en hâte vers Limsoury pour renforcer notre première ligne. Le général Bloch réclamait l'appui de toute l'artillerie disponible : il n'avait plus de réserves pour alimenter la défense.
Sous les coups répétés de l'ennemi, qui jetait dans la lutte renforts sur renforts, la droite du 5e régiment d'infanterie fléchit, en même temps que la gauche du 119e régiment d'infanterie. Alors toute la 6e division céda, découvrant l'artillerie, massée sur le plateau. De son côté, la 38e division, très menacée, évacuait Somzée par échelons, et se repliait sur Chastres et Fraire.
La situation était, soudain, des plus critiques. Nous ne pouvions plus tenir sur la ligne Limsoury Berzée-Chastres. Il devenait difficile de limiter le recul. La nuit tombait, grosse de menaces.
La 75e brigade s'établissait en hâte au nord d'Yves Gomezée, et le 74e régiment d'infanterie se déployait sur les crêtes au sud de Vogenée.
La 5e division, à droite, s'était maintenue sur ses positions de combat, l'infanterie allemande ne l'ayant pas abordée. Mais la 6e division battait en retraite jusqu'à Walcourt, et même au delà. L'état-major du 3e corps se repliait sur Silenrieux.
L'ennemi, cependant, ne harcelait pas la retraite, car sur la gauche le 18e corps avait résisté à toutes les attaques, et son commandant avait un instant espéré pouvoir déboucher par Thuin au nord de la Sambre, pour retrouver la droite anglaise.
Sur le front du 18e corps, les assauts allemands s'étaient presque tous brisés, avec des pertes sévères. Le 18e régiment d'infanterie à Marbaix, et le 49e à Gozée, se couvraient de gloire. Mais des renforts ennemis accouraient sans cesse. A l'ouest, la 11e brigade perdait les ponts de Lobbes et de Fontaine-Valmont. Les fantassins allemands arrivaient aux abords de Biercée.
Alors le 144e régiment d'infanterie et un bataillon du 31e contre-attaquèrent avec violence; l'adversaire recula.
Une autre contre-attaque du 57e arrêta la progression allemande dans le bois Janot.
Mais le recul de la 6e division entraînait le repli du 18e corps, en direction de Fontaine-Valmont. L'ennemi avait subi des pertes telles qu'il ne songea pas à nous inquiéter.
Les ordres de l'Armée avaient prévu que le corps de cavalerie agirait sur la rive gauche de la Sambre, en liaison avec le 18e corps. Mais le général Sordet avait fait savoir que l'état de fatigue de ses troupes ne lui permettait pas de livrer bataille; il s'était retiré, sans plus attendre, vers Bersilies l'Abbaye.
Vers midi, le général Sordet recevait l'ordre de se porter en hâte à la gauche de l'Armée anglaise, pour parer à la menace d'enveloppement, qui se précisait de plus en plus. Le corps de cavalerie prenait donc, le soir, le chemin de Maubeuge, et, s'arrêtait dans la nuit à Beaufort, après avoir parcouru trente-cinq kilomètres. De son côté, le général Valabrégue devait appuyer le 8e corps.
Mais les 69e et 53e divisions de réserve, mises en route trop tard, ne furent pas engagées.
Par contre, l'Armée anglaise, arrivée le matin même à Binche et à Peissant, combattait depuis midi avec acharnement.
Son 1e corps (général Smith Dorrien) avait perdu Binche, mais n'était pas compromis.
Son 2e corps (général Douglas Haigh) s'était énergiquement défendu à Mons
La victoire paraissait même acquise.
Le maréchal French ne se croyait attaqué que par deux corps allemands.
Un message du général Joffre lui apprit, à 17 heures, que quatre corps ennemis menaçaient d'enveloppement les troupes britanniques. La retraite fut décidée sur le champ.
Plus au nord, la 82e division territoriale s'était repliée d'Antoing et de Tournai sur Cysoing. Des cavaliers allemands patrouillaient aux portes de Lille.
L'ensemble de la journée n'avait pas donné ce que le commandant de la 5e Armée semblait en droit d'en attendre.
Le 10e corps avait résisté sur ses positions, et ses pertes, qui s'élevaient encore à prés de deux mille hommes pour la 37e division, n'atteignaient cependant pas le quart des pertes de la veille. Mais la situation du 3e corps devenait inquiétante, et le 18e C.A., si brillante qu'en été sa défensive, se trouvait hors d'état de repartir en avant.
D'autre part, les Allemands jetaient de nouvelles forces en ligne, et ni les Anglais, ni les divisions territoriales ne pouvaient suffire à arrêter la manœuvre de débordement. Le danger devenait imminent sur la droite, où l'action du 1e corps avait été paralysée.
Au lieu de la 4e Armée française, que le général Lanrezac s'attendait toujours à voir déboucher au-delà de la Lesse, c'était une nouvelle Armée allemande qui s'apprêtait à franchir la Meuse et à nous couper la retraite. Le général Mangin, dans la soirée, avait bien repris Onhaye, mais toutes nos défenses sur la rivière étaient tombées. La garnison de Namur battait en retraite, et les 3e et 4e Armées françaises, battues elles-mêmes, rétrogradaient.
Une angoisse tragique pesait sur nos troupes harassées. Le général Lanrezac ne pouvait que se retirer à son tour. Il lança l'ordre de repli sur la ligne Givet-Philippeville-Merbes-le-Château. |
Tandis qu'à droite la 8e brigade reconstituée, la 51e division et le 1e C.A. reculaient par échelons successifs, sans autre difficulté que l'encombrement des routes, le 10e corps, qui ne disposait guère que de la seule route de Philippeville pour ses trois divisions, avait beaucoup de mal à se dégager.
Il y eut d'abord de violents corps à corps dans les bois à l'est et au nord d'Oret, ainsi qu'aux abords des hauteurs de Mettet et Florennes défendues par le 3e zouaves et le 3e tirailleurs.
L'ennemi, cependant, ne tenta pas la poursuite. Mais son artillerie tira sans relâche sur nos colonnes en marche, démontant nos batteries et creusant des vides parmi les fantassins.
Au 3e corps, la 5e division, talonnée par l'ennemi, s'était échappée avant l'aube, sous bois et à travers champs, en abandonnant presque tous ses canons sur le terrain.
La 76e brigade avait pu se replier sans donner l'éveil; la 75e l'avait ensuite ralliée après une marche des plus pénibles.
Mais la 6e division se reconstituait difficilement. Il y avait encore, à midi, un tel encombrement dans les fonds de l'Heure qu'on pouvait craindre une catastrophe.
La 69e brigade, en arrière-garde de la 38e division à partir de Vogenée, avait reçu l'ordre de résister à Silenrieux (123e régiment d'infanterie) et à Walcourt (6e régiment d'infanterie). Le 6e régiment d'infanterie fut énergiquement attaqué par des détachements de cavalerie et de cyclistes, qu'appuyait une forte artillerie. Il résista vaillamment. Sa mission terminée, la 69e brigade se retira à 16 heures, par échelons.
Le 18e corps se dégageait sans trop de difficultés. Les artilleurs allemands canonnaient sans répit les lisières des bois de Strée, où la 70e brigade avait été contrainte de se réfugier.
Le repli de la 36e division entraîna celui de la 35e, qui se fit par échelons sur la position Malaise-Sartiau, puis sur Bousignies, tandis que la 11e brigade était maintenue à Thirimont pour faciliter la retraite de la division de droite sur les hauteurs au sud de Beaumont.
A la gauche du 18e corps, les divisions de réserve n'avaient établi sur la Sambre que des postes légers. L'ennemi s'était donc emparé de bonne heure des passages de la Buissiére.
Mais, à 13 heures, une contre-attaque de deux bataillons du 254e régiment d'infanterie et d'un bataillon du 251e permit à la 138e brigade du général Néraud de réoccuper Solre et les abords de la Buissiére. Nous pûmes nous y maintenir, malgré le bombardement.
Tout restait calme du côté de Jeumont.
Les Anglais avaient pu se dégager après un violent combat. Mais nos divisions territoriales, malgré l'énergie du général d'Amade, ne semblaient pas devoir opposer une résistance bien solide aux tentatives ennemies.
Deux bataillons de la 88e division territoriale se laissaient surprendre dans Tournai par les cavaliers de Marwitz. Condé était évacué, Douai s'apprêtait à l'être, Lille était déclarée « ville ouverte »
La 88e division territorial se retirait précipitamment sur Templeuve et sur Seclin.
Comprenant la gravité de la situation, le général Lanrezac ordonnait à la 5e Armée de ne pas s'attarder, et de se replier derrière les bois, sur la ligne générale Mézières-Hirson-La Capelle, en continuant de prendre appui à gauche sur Maubeuge, à droite sur le massif boisé des Ardennes où se ferait la liaison avec la 4e Armée.
Les troupes marchaient, inlassablement.
Mal ravitaillés, les hommes tombaient de sommeil. Mais, peu à peu, l'ordre renaissait dans les unités reconstituées. Il y avait eu des défaillances, mais les actes d'héroïsme, innombrables, les avaient déjà racheté.
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