La bataille d'Esparron des 15 et 16 avril 1591
 

Le Duc de Lesdiguières, du parti protestant, qui vient d'obtenir d'éclatant succés en Dauphiné, entre en Provence.
Il avance par la vallée de Sault, et marche sur les Mées pour se joindre au gouverneur La Valette, qui descend de Sisteron où il vient de passer l'hiver. Leur armée qui regroupe 800 hommes de cavalerie et de 2 000 arquebusiers marche sur Digne.
Le comte de Martinengue, qui commande les forces de la Ligue en l'absence du duc de Savoie, sort d'Aix pour aller dégager Digne. Arrivé à Aups il apprend que Lesdiguières se dirige vers Vinon. Il décide donc de gagner aussi Vinon, mais Lesdiguières s'est déjà emparé de la place fortifiée. Il rebrousse donc chemin vers Barjols, Varages, Tavernes et La Verdière.
Martinengue divise son armée en trois corps qui occupent les villages de Rians (le comte de Matinengue avec la plus grande partie de la cavalerie savoyarde), Saint-Martin de Pallières (Saint-Romans avec l'infanterie savoyarde, la compagnie de chevaux légers de Vitelly et la compagnie de cavalerie de Cucuron), Esparron (le comte du Bar, Meyrargues, et tous les autres capitaines provençaux à l'exception de Besaudun resté auprès de Martinengue.
Lesdiguières et La Valette voulaient se rendre directement à Berre, que le duc de Savoie avait fait bloquer avant son départ, et éviter de livrer un combat ici avec les Ligueurs. Mais le lundi 15 avril ils apprennent par un fermier mandaté par le seigneur d'Esparron que les ennemis avaient commis l'erreur de séparer leurs forces qui pouvaient désormais être écrasées séparément.
Les deux généraux royalistes profitent de l'opportunité. Avant même le lever du soleil, ils font route vers Ginasservis qu'ils ne font que traverser, contournent La Verdière et maneuvre pour déboucher entre Rians et Saint-Martin. Ils aperçoivent alors du Bar et les autres seigneurs provençaux en marche pour se retirer à Esparron. Arrivés tout près d'Esparron, ils découvrent l'avant-garde royaliste. La garnison sortie du village les rejoint. Ensemble il forment une troupe d'environ 1 2OO à 1 300 hommes qui sont disposés en ordre de bataille sur l'arête du côteau d'Esparron, qui se prolonge d'un côté jusqu'à Saint-Martin, et de l'autre quasiment jusqu'à Rians, en passant par Artigues. Elles sont massées sur une ligne peu étendue dont la tête êtait contre le château même d'Esparron.
Lesdiguières qui conduit l'avant-garde royaliste, détache du Poët et Valavoire avec leurs compagnies pour reconnaître les positions ennemies. Arrivés au pied du côteau les deux capitaines sont rejoints par Lesdiguière et toute l'avant-garde. Après un examen rapide de la situation Lesdiguières demande à ses deux généraux de marcher tout de suite à l'ennemi, "les asseurant qu'il ne tiendroit pas et se retireroit incontinent".
Exécutant l'ordre, les deux gentilhommes s'engagent tout droit vers la ligne des Ligueurs, en empruntant des sentiers escarpés permettant à peine à deux cavaliers de marcher de front. Les Savoyards font d'abord bonne contenance et se préparent à combattre, mais l'extrémité de l'aile qui touche au château se met en mouvement pour se replier à l'intérieur, ce qui provoque un début de panique. La cavalerie part au galop dans la direction de Rians, pendant que l'infanterie entre en désordre dans Esparron. Du Poët et Valavoire se lancent avec leurs compagnies à la poursuite des cavaliers. Pendant ce temps La Valette arrive devant le village et prend position dans la plaine entre Esparron et Rians pour arrêter Martinengue au cas où il tenterait de dégager ses troupes.
Ce dernier, en effet dès qu'il a appris l'attaque est sorti de Rians avec ses 1 500 hommes mais, au lieu de passer devant Artigues et de se diriger droit vers Esparron, prend vers le village de Besaudun pour dissimuler sa manœuvre à l'ennemi. Cependant il s'égare et perd beaucoup de temps. C'est après avoir traversé un fourré de bois qu'il se retrouve face à la cavalerie d'Esparron qui tente de regagner Rians, toujours poursuivie par du Poët et Valavoire. Compte tenu du nombre important de ligueurs qui se retrouvent regroupés, les deux généraux cessent leur poursuite et battent en retraite jusqu'à ce qu'ils retrouvent le gros de l'armée de Lesdiguières qui les suivait de loin avec la cavalerie dauphinoise.
Le combat change alors de physionomie, les ligueurs ne résistent pas et se débandent. Le comte de Martinengue est entrainé dans la tourmente et ne s'arrête qu'à Rians poursuivi par Lesdiguières qui lui tue une soixantaine d'hommes avant de reprendre la route d'Esparron.
Pendant ce temps La Valette était arrivé devant Esparron, où l'infanterie savoyarde et provençale faisait des préparatifs de défense de la cité. Le manque d'information sur les combats le conduise à se tenir sur la défensive jusqu'à trois heures de l'après midi. C'est alors que Lesdiguières le retrouve et lui fait part des événements qui se sont déroulés dans la matinée. Ils décident de concentrer tous leurs efforts sur la prise d'Esparron.
Ils établissent un campement tout près du village, font mettre pied à terre à la cavalerie, et tentent une première attaque.
Les assiégés avaient dressé une grande barricade qui fermait la rue du côté du château. La Valette ordonna à Saint-Andiol et à Le Poy de l'enlever. Les ligueurs opposent une résistance opiniatre : Saint-Andiol (sa blessure lui vaudra l'amputation d'un bras), Monthau-de-Salon et Bastide de Pertuis sont blessés, deux autres soldats sont tués. Les royalistes sont contraints de se retirer.
La Valette, irrité par cet échec, fait bloquer la place et pétarder un moulin à vent qui était occupé par vingt arquebusiers ennemis. Le moulin est pris et les vingt soldats sont tués.
Le lendemain de bonne heure les hostilités recommencent : les royalistes s'emparent d'une maison située au-dessous du château, attenante à l'église, dans laquelle Cucuron s'était établi la veille avec sa compagnie. Après une brillante défense, les Ligueurs qui n'avaient plus reçu de nourriture depuis plus 24 heures, se rendent.
Les royalistes prennent la position qui leur permet de prendre en enfilade la rue centrale. Les assiégés ne peuvent plus sortir des maisons sans s'exposer au feu des arquebusiers ennemis.
La Valette fait ensuite saper les deux maisons qui forment les attaches de la grande barricade, pour la prendre à revers. Cette opération sème l'effroi dans les rangs des assiégés, d'autant plus qu'l n'y a plus dans la place une seule ration de pain, que les abords du village sont entre les mains des ennemis, et qu'on sait depuis la veille que Martinengue est en fuite.
La garnison demande à parlementer : Le piémontais Vitelly se présente à La Valette, portant sur son visage et ses vêtements, les traces de deux jours d'abstinence et de combats. Le gouverneur l'accueille avec honneur et ordonne qu'on lui donne un dîner.
Vitelly demande la liberté pour les assiégés, avec le droit de se retirer armés.
La Valette répond qu'il n'est pas là pour prendre Esparron, qui lui importe peu, mais ceux qui sont dedans, et que s'ils ne viennent pas volontairement à lui, il saura bien les réduire par la force. Il consent seulement à leur laisser la vie sauve.
Les assiégés acceptent et se constituent prisonniers. Ils sont au nombre de 1 300 dont 300 cavaliers.
Les pertes éprouvées par les ligueurs dans les différents combats qui se sont déroulés durant ces deux jours atteignent le chiffre énorme de 500 tués.
La Valette répartit les prisonniers pouvant payer une rançon entre les officiers de son armée qui ont été blessés. Il envoie les soldats à Brignoles où la liberté leur est rendue quelques jours après à condition qu'ils ne portent plus les armes contre le roi.
La Valette et Lesdiguières descendent à Brignoles et à Saint-Maximin, où ils laissent leur armée se reposer quelques jours. Le 24 avril ils se mettent en route pour aller ravitailler Berre.
Cette courte campagne a discrédité les Savoyards et ébranlé plusieurs villes dans leur fidélité à la Ligue.

 
Sources : Histoire des guerres de religion en Provence par le docteur Gustave Lambert (1870)