Les maquis de la Coutronne et de Saint Jean du Puy
(d'après le témoignage de Louis Deleuil recueilli par Alain Decanis le 9 juillet 1998)

 

Au printemps 1942, Louis DELEUIL contrôleur au tramway de Marseille, est contacté par Paul TROMPETTE contremaître minotier au Moulin du Merlan (1).

Après s’être assuré de ses opinions, Paul propose à Louis DELEUIL de distribuer des journaux clandestins. Ce dernier accepte. Pendant plusieurs mois, il contribue ainsi à propager les idées favorables à la Résistance et à faciliter le recrutement de son groupe.

Courant novembre 1942, Paul TROMPETTE soumet à Louis DELEUIL, qui en avait formulé la demande, un contrat d’engagement dans les Forces Françaises Libres. Après avoir été revêtu de la signature de Louis DELEUIL, le document est transmis à Alger.

Durant toute cette période, la plupart des rencontres entre Paul TROMPETTE et les différents responsables de groupes se font au Jardin Zoologique de Marseille, derrière la cage de l’éléphant « Poupoule ». Là, Paul TROMPETTE attend assis à la terrasse de la buvette, en sirotant un verre. Il est convenu que si le verre est plein les contacts peuvent s’asseoir et engager la conversation alors que si le verre est vide, ils doivent s’éloigner rapidement car il y a danger.

En mars 1944, Paul TROMPETTE, Maurice PORTALES et le major britannique Roger BURDETT, alias René FIRMIN (2), décident de la création d’un maquis au lieu-dit « La Coutronne », sur la commune d’Auriol, à proximité du Plan d’Aups.

La liaison du groupe avec Londres est effectuée par le radio Gaston COLLINS (3). Ce dernier est hébergé rue Cardinale à Aix-en-Provence chez Louis GINIEZ. Quotidiennement, une jeune fille nommée Andrée RAYNAUD, fait, en bus,  la navette entre Marseille et Aix-en-Provence, pour apporter les messages à transmettre que lui fournit le major Roger BURDETT.
Le 26 avril 1944, le message «  Le beau trèfle à quatre feuilles sera bientôt pris » diffusé par radio Londres indique qu’un parachutage d’armes et de munitions aura lieu dans la nuit sur un terrain de Trets. Il est destiné à équiper les hommes du futur maquis.

A la tombée de la nuit, six hommes quittent Trets à pied. Bien qu’empruntant des chemins différents, ils se dirigent tous vers le hameau de Kirbon. Le lieu de rendez-vous destiné à recevoir le parachutage est un champ de vignes contigu aux oliviers de « Tardivet ». Le groupe est formé de Louis et Auguste DELEUIL, Pierre BOYER, Maurice MOUCHET et Justin RICHAUD. Vers une heure du matin, un avion se présente à basse altitude. Les résistants éclairent aussitôt les feux pour baliser le terrain et font en morse le signal convenu à destination de l’appareil qui largue quinze containers. Toutefois l’opération de récupération ne se déroule pas sans problème car les Allemands, postés à proximité, au Pic du Regagnas, intrigués par le vrombissement, tirent plusieurs fusées éclairantes qui obligent les hommes à se coucher pour ne pas se faire repérer.

Dans la nuit du 29 avril 1944, Maurice PORTALES, Jean BLANC, Louis DELEUIL et Maurice MOUCHET reviennent à Kirbon pour charger les armes et munitions parachutées, sur un camion à gazogène de la Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Sud-Est (S.N.C.A.S.E.). Au lever du jour, ils ont déjà traversé La Destrousse, Auriol et font route vers le Plan d’Aups, lorsqu‘ils sont arrêtés à un carrefour par un barrage. Les gendarmes qui exigent de contrôler le contenu du chargement aperçoivent avec stupéfaction, en soulevant la bâche, trois résistants armés de mitraillettes qui les tiennent en joue. Affolés, ils s’enfuient en prenant leurs jambes à leur cou, permettant ainsi aux cinq hommes de poursuivre tranquillement leur route.

Arrivés à destination (dans un vallon qui se trouve quelques centaines de mètres de la Ferme de la Coutronne), les hommes procèdent au déchargement des caisses puis regagnent Marseille avec le camion à l’exception de Jean BLANC. Ce dernier reste dans le vallon pour garder les armes et munitions. Il est ravitaillé deux fois par semaine par des résistants qui, venant de Marseille, rejoignent « La Coutronne » par le sentier pédestre qui débute derrière l’église de Gémenos.

Courant mai, Louis DELEUIL assure l’instruction de plusieurs groupes au maniement d’armes dans les galeries d’une mine de Saint-Zacharie, dans le cinéma Casino de Trets et dans les bâtiments du Moulin du Merlan à Marseille.

A la fin de ce même mois de mai (4), des maquisards installent un campement à « La Coutronne », sur les lieux où étaient entreposées les armes.
Tous les jours, de nouveaux arrivants viennent grossir l’effectif du camp.
Le 6 juin 1944, suite à l’annonce du débarquement de Normandie, l’ordre d’insurrection générale est donné.

Le lendemain Louis DELEUIL se rend, avec trois autres hommes coiffés de la casquette des P.T.T., sur une camionnette, au central téléphonique de La Pomme. Ils posent quatre charges de plastic dont une seule explosera, causant des dégâts relativement importants.

A « La Coutronne » les recrues continuent d’affluer. Les nouveaux sont accueillis et filtrés dans la bergerie, puis dirigés le plus souvent vers un deuxième campement aménagé sommairement à mi-pente, au dessus de la route. Là des toiles de parachute tirées entre les arbres servent de tentes aux hommes.

Le 8 juin 1944, quatorze marins pompiers arrivent ensemble par la route. Ils sont commandés par le deuxième-maître Lucien MAILLOT et par le quartier-maître Ferdinand NEGRO, également infirmier.

Le camp commence à peine à s’organiser lorsque, le 10 juin 1944, les Allemands attaquent en force. Le groupe établi dans la bergerie où est aménagée l’infirmerie est commandé par Louis DELEUIL. Sur les trente cinq hommes qui s’y trouvent, seulement quinze sont armés. Conscient de la gravité de la situation, Louis DELEUIL commande à tous ceux qui n’ont pas d’armes de partir immédiatement. Pendant ce temps, le combat fait rage au dessus et au dessous de la route car les deux campements ont été attaqués simultanément. Au fur et à mesure que les hommes épuisent leurs munitions, conformément aux ordres, ils fracassent les crosses de leurs armes contre des arbres avant de les abandonner, puis s’enfuient à travers bois en empruntant le vallon qui descend vers Saint-Zacharie. Les derniers à rester autour de la bergerie sont Ferdinand NEGRO, Jean BLANC, Marc GINIEZ, Louis DELEUIL et les deux femmes qui faisaient office d’infirmière Madame ANIEL  et Andrée RAYNAUD. Par groupes de deux, tous parviennent à traverser le découvert et à rejoindre les bois sans être touchés.

Le combat de « La Coutronne » a fait onze victimes dans les rangs des maquisards : le capitaine Lucien DUSSART, le lieutenant de vaisseau Paul BOUYGUES, le lieutenant Maurice MOUCHET, le sous-lieutenant Luc NEGRONI, le sergent Henri ASTIER, Léon BRUNY, Sauveur DELBOVE, Adrien GERBE, Jean Baptiste QUEIREL, Roger QUEIREL, Dominique GRIMALDI.

De leur côté, les Allemands auraient perdu quarante sept hommes, selon les propos rapportés par des soldats de la Wehrmacht au docteur LECCIA de la clinique Fallen d’Aubagne, réquisitionné pour soigner les blessés.

Après s’être regroupés dans la forêt grâce à l’air de ralliement convenu « Comme la plume au vent », les quatre derniers hommes à avoir quitté le camp accompagnés des deux infirmières poursuivent leur chemin vers Saint-Zacharie. En route ils retrouvent Louis DESCHAMPS blessé grièvement au bras et Antoine CASANOVA à qui une balle à traversé la poitrine, sans provoquer heureusement d’hémorragie. Avec un manteau en cuir et une échelle abandonnés par des charbonniers, ils confectionnent rapidement un brancard de fortune pour transporter Louis DESCHAMPS. Antoine CASANOVA, soutenu par ses compagnons, parvient à se tenir sur ses jambes. Cela fait environ une dizaine de minutes qu’ils ont repris leur marche lorsqu’ils aperçoivent des colonnes de fumée qui s’élèvent vers le ciel. Ils comprennent rapidement : les Allemands ont incendié la forêt et ils sont pris au piège. Alors qu’ils pensent que tout est perdu, retentit un tonnerre. Quelques instants plus tard des trombes d’eau salvatrices s’abattent sur la forêt et éteignent l’incendie qui commençait à menacer sérieusement le groupe.

Parvenus aux abords de Saint-Zacharie, les six maquisards trouvent refuge dans un cabanon à proximité de la source des Nayes. Louis DELEUIL et Ferdinand NEGRO laissent là leurs compagnons et se rendent à Saint-Zacharie. Après avoir rencontré Joseph ARTUPHEL, un ami de Louis DELEUIL, ils se rendent tous les trois chez le médecin à qui ils expliquent la situation. Immédiatement ce dernier accompagne les hommes au chevet du malade et constate la gravité de la blessure de Louis DESCHAMPS. Son diagnostic est sans équivoque. Pour le sauver, il faut le transporter le plus rapidement possible dans un hôpital car son état nécessite une intervention chirurgicale. Les trois hommes retournent alors à Saint-Zacharie en quête d’un moyen de transport. Ils se rendent chez François ARNAUD, propriétaire de la compagnie de cars, mais également membre de la Milice. Ils lui expliquent que deux hommes ont été blessés à l’occasion de travaux forestiers et qu’il faut les transporter d’urgence à l’hôpital d’Aubagne. François ARNAUD accepte de les conduire dans sa voiture. Louis DELEUIL monte devant à côté du chauffeur, tandis que Jean BLANC, Antoine CASANOVA et Louis DESCHAMPS prennent place derrière. Après avoir aidé au transport des blessés, Madame ANIEL part pour Moulin de Redon tandis que Ferdinand NEGRO  décide de rejoindre Marseille par ses propres moyens. Andrée RAYNAUD et Marc GINIEZ attendent sur place le retour de la mission.

Peu avant Auriol, à la sortie d’un virage (au niveau où se trouve aujourd’hui le péage de l’autoroute), le véhicule  qui transporte les blessés tombe sur un barrage allemand. Louis DELEUIL dégoupille une grenade qu‘il tient serré dans la poche de son pantalon. Le chauffeur, François ARNAUD, en même temps qu’il freine pour immobiliser la voiture, se retourne et dit aux hommes qui se trouvent derrière : « Que personne ne bouge ! ». Un soldat s’approche alors pour lui demander ses papiers. Il lui répond : « Mission » en brandissant sa carte de la Milice. Le soldat convaincu demande à ce que l’on laisse passer le véhicule. Quelques dizaines de minutes plus tard, les cinq hommes parviennent à la clinique Fallen d’Aubagne où les blessés sont déchargés. Sur le chemin du retour, à la sortie d’Aubagne, François ARNAUD répond à Louis DELEUIL qui le questionnait sur son attitude : « Parce que tu croyais que j’étais assez couillon pour croire à ton histoire de chantier forestier, alors que l’on avait entendu pétarader toute la matinée dans le massif ! ».

A Saint-Zacharie Jean BLANC et Louis DELEUIL retrouvent Marc GINIEZ et Andrée RAYNAUD. Les trois derniers décident de faire route ensemble, par le Petit Galibier, jusqu’à Trets, tandis que Jean BLANC rentre directement à Marseille par le train.
Parvenus à Trets Andrée RAYNAUD et Marc GINIEZ prennent le car pour regagner Marseille à leur tour. De son côté Louis DELEUIL passe une journée à la campagne « La Marseillaise ». Il rencontre son père et des gendarmes proches de la Résistance à qui il raconte son périple.

Le lendemain, il prend le car pour Marseille et se rend sur le lieu de son travail, à la direction des tramways, rue Sénac. Lorsqu’il pénètre dans le bâtiment, le chef d’exploitation l’aperçoit avec stupeur. Il lui explique qu’il a passé la journée précédente en compagnie de la Gestapo, que les Allemands avaient retrouvé à l’issue du combat de « La Coutronne » une veste d’agent des tramways sur laquelle était cousu un numéro matricule qui avait permis de l’identifier. Suite à ces quelques explications, il lui conseille de quitter les lieux rapidement, surtout sans se rendre chez lui. Louis DELEUIL décide alors d’aller à tout hasard au Jardin Zoologique où il aperçoit Paul TROMPETTE avec, devant lui, un verre plein. Ce dernier l’informe de la situation et lui demande de continuer. Louis DELEUIL propose la création d’un nouveau maquis à Trets sur les hauteurs de Saint-Jean-du-Puy. Paul TROMPETTE accepte et lui en confie le commandement. Arrive alors Roger BURDETT, en boitillant, car il a reçu une balle dans le mollet au Plan d’Aups. Il approuve également la décision de créer un nouveau maquis et indique le message qui préviendra des parachutages sur les nouveaux emplacements situés à proximité de Trets : « La vieille momie a pris un coup de froid. ». Pour éviter de confondre avec la lettre V de victoire, il propose que le signal effectué en morse soit la lettre A.

De retour à Trets, Louis DELEUIL est prévenu par les gendarmes que sa tête est mise à prix et qu’il vaut mieux qu’il reste caché. Il décide alors de se réfugier dans un cabanon perdu dans la nature, entre Trets et Saint-Jean, qui appartient à Patrice BOYER. Deux charbonniers Justin RICHAUD et TAVERNIER le ravitaillent quotidiennement et lui communiquent les messages radio reçus de Londres.

Dans la nuit du 5 juillet 1944, vingt quatre hommes entourent Louis DELEUIL pour réceptionner les dix huit containers composant le premier parachutage effectué au « Perdu », au pied du Mont Olympe. Après avoir été rassemblées, les armes et munitions sont transportées dans une grotte qui se trouve dans le flanc de la falaise et à laquelle on ne peut accéder qu’avec des cordes.

Dans la nuit du 19 au 20 juillet quinze nouveaux containers sont réceptionnés par la même équipe.

Entre la fin juillet et la mi-août trois parachutages sont effectués au « Perdu ». L’un concerne une équipe formée de deux officiers radio « BERCAIRE » et « BELCODERE » destinés à travailler avec Louis DELEUIL, et les deux autres des armes, munitions et matériel divers.
Les containers reçus lors du dernier parachutage sont dissimulés dans une cache située environ 150 mètres derrière la ferme de Cabassude, la grotte dans les falaises étant pleine.

Après l’annonce du débarquement de Normandie, les maquisards passent à l’attaque :

  • le jeudi 16 août le Maréchal des Logis Roger HUCHEDE avec huit hommes se rend au poste d’observation de Régagnas que les Allemands ont évacué dans la nuit. Ils récupèrent 1000 litres d’essence, du matériel divers et une mitrailleuse italienne.
  • dans la soirée du vendredi 17 août, le commandant Pierre CARRETIER et ses 19 hommes  détruisent sur la route de Saint-Maximin, au niveau de « La Neuve », un camion de munitions ainsi que son équipage.
  • le samedi 18 août Louis DELEUIL accompagné de 11 hommes tend une embuscade sur la route de Saint-Maximin, au niveau de « Sacaron ». Dans la soirée se présente un convoi allemand. Les maquisards juchés sur un promontoire attaquent à la grenade. Ils détruisent une voiture d’officiers et quatre ou cinq camions. De nombreux soldats sont tués. De retour ils font prisonniers huit soldats qu’ils trouvent couchés dans le pavillon de chasse de « La Neuve ».
  • dans la matinée du dimanche 19 août, le groupe de Louis DELEUIL fait huit prisonniers dans les bois de Puyloubier.
  • le lundi 20 août, vingt cinq maquisards dirigés par Louis  DELEUIL font prisonnier 59 soldats de la Wehrmacht. Ces derniers ont décidé de se rendre contre l’avis des deux jeunes officiers S.S fanatiques qui commandent le détachement.
  • le mardi 21 août, vers les cinq heures du matin, les deux S.S. sont abattus alors qu’ils tentent de s’évader.

Dans les jours suivants de nombreux maquisards de Saint-Jean-du-Puy s’illustrent dans les combats pour libérer Marseille. Une trentaine poursuivront le combat jusqu’à la Libération en s’engageant dans le Bataillon de Provence (5).

 
 
Notes :
(1) Paul TROMPETTE est lui-même en relation avec Gaston DEFERRE et Francis LEEHNARD.
(2) Roger BURDETT et René FIRMIN sont deux pseudonymes utilisés par le major BOITEUX, agent du Service Operation Executive (S.O.E.) britannique. Parachuté une première fois le 31 mars 1942 dans la région lyonnaise pour monter un réseau, il regagne l’Angleterre en août 1943. Renvoyé en France en mars 1944 pour aider les milices socialistes, appelées « Groupes Veni », selon le pseudonyme de leur chef national. Le représentant de « Veni » à Marseille est le capitaine de réserve Lucien DUSSART. Il est en relation avec les frères TROMPETTE, Paul notamment qui est le contact « politique ». C’est avec eux que le major BOITEUX jette les bases du réseau « Gardener » à Marseille.
(3) De nationalité britannique, Gaston COLLINS (ou Gaston COHEN) a été parachuté le 24 mars 1944 près de Figeac. C’est un radio très expérimenté mis au service du major BOITEUX et de son adjoint Roger FOSTER, appelé aussi Roger APTAKER, également de nationalité britannique.
(4) Antoine CASANOVA précise : « Le 31 mai 1944, dans l’après-midi, Louis DESCHAMPS vient me chercher à Marseille. Il me demande de prendre une couverture, de ne rien dire à ma mère et me remet des faux papiers au nom de LUCIANI, bûcheron. Une camionnette nous transporte, ainsi que deux amis pris en cours de route, jusqu’au Plan d’Aups. Là, il y a deux camps : un situé au-dessus de la route, l’autre au-dessous où se trouve une vieille bâtisse, appelée « la ferme ». Je suis affecté à « la ferme » où je retrouve deux amis : Adrien GERBE, employé des tramways, et Dominique GRIMALDI.
(5) Le Bataillon de Provence, 9ème D.I.C., commandé par le général de MONTSABERT. Au mois de janvier 1945, le Bataillon de Provence est dissous. Tout son effectif est réparti dans les diverses compagnies du 23ème R.I.C. (ancien 13ème R.T.S.).